Le virus de la langue bleue

La langue bleue (bluetongue en anglais) est une maladie virale qui touche les ruminants domestiques (moutons, chèvres, bovins) ou sauvages. Le virus responsable de cette maladie, le Bluetongue virus (BTV), appartient à la famille des Reoviridae, genre Orbivirus.

Le virus.

Les Reoviridae sont des virus non enveloppés, c’est à dire que leur délimitation n’est pas constituée d’une enveloppe bi-lipidique (graisseuse) qui les rend sensibles aux détergents comme les virus de la grippe ou le SARS CoV 2. Leur couche externe est formée d’une solide coque de protéines organisée en 3 couches (cf. figure ) qui rendent les virus très résistants dans l’environnement extracellulaire. La couche externe, composée de deux protéines VP2 et VP5, est celle qui entre en contact avec la cellule à infecter en se liant à une protéine cellulaire, le récepteur, qui n’est pas encore identifié avec certitude. La couche intermédiaire fait le lien entre la couche externe et la couche interne qui rassemble les composants viraux au moment de la formation des nouvelles particules virales. A l’intérieur de la particule, se trouvent empaquetées les enzymes nécessaires à la réplication du génome viral composé de 10 segments d’ARN et à la synthèse des ARN messagers viraux. Le génome est composé d’ARN, mais il se distingue d’autres virus à ARN (par ex. SARS CoV2, virus de la rougeole, virus de la poliomyélite) par le fait que cet ARN est double brin (ARN db). De plus ce génome est fractionné en dix segments. La nature du génome de BTV, ARN double brin en dix segments, a des conséquences sur son cycle de multiplication et sur les capacités d’évolution du virus. Notamment si deux virus légèrement différents infectent une même cellule, la répartition des segments lors de l’assemblage des nouveaux virus peut donner lieu à un réassortiment menant à la production d’un nouveau virus qui a incorporé des segments de l’un et de l’autre virus infectant. Ce phénomène de réassortiment est bien connu pour les virus de la grippe dont le génome d’ARN simple brin est fractionné en 7-8 segments. Les nouveaux virus humains issus des virus aviaires ont tous profité de ce phénomène dans leur évolution. Pour les BTV l’étendue du réassortiment n’a pas encore été étudiée, mais le fait que l’on connaisse à ce jour plus d’une 25 sérotypes différents permet de penser qu’il joue un rôle similaire à celui des virus grippaux.

L’infection

Le virus se transmet par des moucherons (Culicoides). Les insectes qui se nourrissent de sang d’un animal infecté transmettent à leur tour le virus en se nourrissant sur un congénère sain. Le virus peut également se multiplier dans le moucheron, augmentant ainsi la quantité de virus transmis. Les signes cliniques correspondent à ceux généralement observés lors de développement de fièvres hémorragiques (hémorragie, fuite vasculaire, œdème..) avec plus ou moins de gravité selon les types de virus et la nature des hôtes infectés. Le virus peut traverser la barrière placentaire et provoquer des avortements ou des malformations congénitales. La langue gonflée et cyanosée, donnant le nom au virus, est un symptôme qui, pour être spectaculaire, n’est pas très fréquent. Les moutons sont les plus affectés. Chez les bovins l’infection passe souvent inaperçue cliniquement. En fait la gravité de l’infection, pouvant être mortelle à large échelle, dépend du sérotype*de virus ainsi que de l’espèce de moucherons qui le véhicule.

Le changement climatique a vraisemblablement altéré les périodes d’activité des moucherons ainsi que la taille de leur population. Les espèces de moucherons présents dans l’Europe du nord et l’Europe centrale, différentes de l’espèce Africaine, se sont révélées des vecteurs efficaces, à l’encontre de ce qui avait été pressenti. Les infections associées aux chèvres récemment découvertes, impliquant notamment le sérotype 25 en Europe centrale, semblent avoir des propriétés biologiques distinctes et une épidémiologie qui ne dépend pas des moucherons Culicoides comme vecteurs de transmission du virus. Les épidémies de langue bleue peuvent avoir des conséquences graves pour l’agriculture, affectant la santé des animaux, leur productivité, baisse de production de lait, reproduction diminuée et altérée, et la qualité des produits (lait, viande). Certaines formes de la maladie peuvent provoquer des pertes massives de bétail. L’impact économique peut être lourd, en particulier dans les régions où l’élevage constitue une part importante de l’économie.

Transmission à l’homme

A ce jour, la transmission de la maladie à l’homme ne fait l’objet d’aucune publication. Des études pour savoir si les personnes en contact avec des animaux infectés auraient développé des anticorps témoignant d’une infection asymptomatique font également défaut dans la littérature spécialisée. Ainsi, à ce stade les virus BTV ne posent pas de problème de santé chez l’humain.

Historique

La première description clinique de la langue bleue a été faite en Afrique du Sud en 1905, où des animaux ont montré des signes caractéristiques de la maladie. L’agent causal a été défini comme un virus lorsque la maladie a pu être transmise par un filtrat retenant bactéries et levures. Le virus a été isolé pour la première fois en 1940. Entre 1950 et 1960, des épidémies importantes ont été signalées en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, affectant les gravement troupeaux de moutons. Dès les années 1990, le virus se propage vers de nouvelles zones, notamment en Europe, où il cause des épidémies sévères chez les animaux domestiques. Dans le même temps plus de 25 sérotypes distincts sont identifiés. Pour mémoire un sérotype correspond à un type de virus qui provoque après infection la montée d’anticorps spécifiques capables de se lier au virus et d’empêcher son infection. Les sérotypes diffèrent donc par la propriété de se lier à des anticorps différents. Un animal immunisé contre un sérotype restera ainsi sensible à l’infection par un sérotype différent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dès les années 2000 le BTV se répand en Europe à partir de la péninsule ibérique. La situation en Suisse en depuis août 2024 montre la circulation des deux sérotypes BTV-8 et BTV3. La propagation du virus a été fortement influencée par les conditions climatiques. Les épisodes de chaleur et d’humidité favorisent la multiplication des Culicoides, facilitant ainsi la propagation du virus dans de nouvelles régions.

Les vaccins (cf. voir pour la généralité  La vaccination)

De manière étonnante, le BTV a fait l’objet d’une recherche foisonnante aboutissant à la préparation de différents types de vaccins. Des vaccins atténués, des vaccins inactivés, des vaccins basés sur le génie génétique de différentes sortes. La question qui sous-tend l’utilisation de ces différents vaccins reste celle de pouvoir distinguer un animal vacciné d’un animal infecté asymptomatique. Les deux présentent des anticorps anti-BTV, mais le premier ne présente aucun danger pour la propagation du virus alors que le second peut constituer le repas d’un moucheron qui, après avoir amplifié la masse virale, le propage dans le troupeau. C’est une raison pour laquelle la vaccination n’est pas toujours vue comme la solution immédiate dans la lutte contre l’infection virale. Les mesures de luttes passent aussi par le contrôle des vecteurs visant à réduire la population des moucherons (répulsifs) et une surveillance conduisant à des quarantaines sévères et rapides.

Vaccins vivants atténués. Les virus, souvent plusieurs sérotypes présents dans une zone endémique, sont cultivés en série dans des œufs embryonnés de poulet. Une fois la souche vaccinale obtenue, sa préparation est relativement bon marché. Ces vaccins induisent une immunité de longue durée et généralement peu ou pas d’effets secondaires indésirables, à l’exception du sérotype BTV 16. Pourtant chez les ovins, des réactions plus marquées peuvent êtres observées : lésions au site d’injection, diminution de production de lait, avortements. Les virus atténués sont détectés dans le sang des animaux vaccinés pendant plus de 70 jours. Ils peuvent être détectés dans des moucherons qui peuvent les transmettre. Cette survie peut participer à la vaccination du troupeau, mais également favoriser des réversions des virus atténués à l’état sauvage.

Vaccins inactivés. Les virus, inactvés par traitement chimique ne sont disponibles que pour un nombre restreint de sérotypes. Ces vaccins induisent une immunité de plus courte durée ce qui nécessite l’injection d’une seconde dose (booster).

L’utilisation de ces deux types de vaccins ne sont pas compatibles avec la discrimination entre animaux infectés et animaux vaccinés. En conséquence, elle ne permet pas la levée des restrictions de transport des animaux.

Vaccins sous-unités. Dans ce cas, une ou quelques protéines virales, purifiées ou produites par génie génétique sous utilisées, enrobées dans une capsule graisseuse. Le choix des protéines virales est ici primordial. Il s’agit avant tout de protéines qui composent la coque protectrice du virus (VP2, VP5, VP3 et VP7). Des cocktails de protéines de sérotypes différents peuvent être concoctés, ceci en fonction des différents virus qui circulent dans un environnement donné.

Vaccins issus de la génétique inverse. La génétique inverse est un processus de laboratoire qui permet de produire un virus à partir de son génome, obtenu par synthèse chimique suivant la séquence connue de son acide nucléique. Un tel procédé est ouvert à la modification du génome de sorte que le virus produit affiche bien sa carte d’identité nécessaire à promouvoir une réponse immune, sans pour autant que le virus puisse se multiplier. Dans le cas de BTV le virus produit est déficient pour l’enzyme responsable de la réplication du génome (omission d’un des dix segments du génome) de sorte que ce virus ne peut pas se répandre dans l’hôte infecté. Ce vaccin est lui-même produit en laboratoire sur des cellules auxquelles a été ajoutée la propriété de produire l’enzyme virale manquante. Un tel virus est qualifié d’ECRA pour « Entrée Compétent Réplication Abortif ». Avec cette approche, les segments du génome responsables pour la synthèse des protéines de la coque peuvent être adaptés aux sérotypes circulant dans une région. Des versions de virus avec une virulence diminuée, en omettant par exemple un segment impliqué dans la virulence (VP3), peuvent servir de vaccins atténués. Ces vaccins ne sont pas forcément disponibles sur le marché, car encore à l’étude. Nul doute qu’ils vont servir de ballons d’essai pour des vaccins contre des pathogènes humains. Un exemple de vaccin issu de la génétique inverse chez l’humain est présenté dans le chapitre qui traite du vaccin contre le virus Ebola.

En Suisse, trois vaccins (inactivés) contre le BTV-3 sont commercialisés actuellement (voir ci-après), mais aucun d’entre eux n’est pour l’heure homologué en Suisse ni dans l’UE. Un document publié le 24 janvier 2025 est disponible sur le site de l’OSAV qui traite en détail de ce sujet.

 

 

Histoire extraordinaire: un virus essentiel à la production de Vitamine B12.

En guise d’introduction.

« La vitamine B12 (cobalamines), avec le folate, est nécessaire à la formation et à la maturation des globules rouges ainsi qu’à la synthèse de l’ADN (acide désoxyribonucléique), qui est le matériel génétique des cellules. La vitamine B12 est également nécessaire à la fonction nerveuse. Les bonnes sources de vitamine B12 incluent les viandes (essentiellement bœuf, porc, foie et autres abats), les œufs, les céréales enrichies, le lait, les palourdes, les huîtres, le saumon et le thon. »*

La vitamine B12 est un cofacteur essentiel de différentes enzymes. Sa carence provoque, entre autres, un dysfonctionnement de la formation du sang dans la moelle osseuse ainsi que de sévères modifications dans le système nerveux. Dans les pays industrialisés occidentaux, l’anémie pernicieuse est la maladie liée à une carence vitaminique la plus répandue et exige une thérapie. Ceci peut être dû non seulement à une consommation trop faible de vitamine B12, mais aussi à une réduction de l’absorption de la vitamine B12 au niveau de l’intestin.**

Seuls quelques microorganismes (bactéries) sont capables de synthétiser la vitamine B12. L’homme, qui selon toute vraisemblance, ne possède pas dans sa faune intestinale les bactéries nécessaires à sa production, est donc tributaire d’un apport exogène régulier de cette vitamine et les aliments d’origine animale sont les seules sources dont la teneur est considérable. La synthèse bactérienne de la vitamine B12 a lieu dans la panse et l’intestin des animaux. Sa faible présence dans les aliments d’origine végétale (produits végétaux fermentés, par ex. choucroute, bière) entraîne en cas de diète purement végétale (végétalien) une couverture insuffisante des besoins en Vitamine B12.

Production naturelle de vitamine B12

Comme évoqué ci-dessus, la synthèse de Vitamine B12 a lieu dans un nombre limité de bactéries, alors qu’elle est essentielle pour la plupart des bactéries marines et des organismes des trois grands règnes du monde vivant : les animaux, les champignons et les plantes. Dans une publication récente parue dans Nature*** en mai dernier, une panoplie de chercheurs, décortique sa production dans des bactéries marines. Au pluriel, car il faut la collaboration de deux espèces de bactéries pour le faire, répondant au doux noms de Colwellia  et Roseovarius. Les deux espèces de bactéries sont auxotrophes pour la Vitamine B12, c’est-à-dire qu’elles sont dépendantes de la B12 pour leur croissance, mais qu’elles ne peuvent pas la produire individuellement. C’est donc une histoire de collaboration qui va suivre. Et le virus alors, que vient-il faire dans cette affaire. Patience, patience…

 

 

 

 

 

 

 

La figure 1, résume le processus de synthèse de la vitamine B12. Un anneau de corrinoid (appelé A), modifié en Af après adjonction de cobalt et un ligand a-ribazole (appelé B), qui doit être activé par l’adjonction d’une queue ( Ba) sont assemblés pour produire le vitamine B12. Ces processus biochimiques nécessitent la présence d’enzymes appropriées et de canaux de passage des molécules. La présence ou l’absence dans le génome bactérien des gènes permettant la production de ces éléments a permis de déduire si les bactéries étaient compétentes ou non pour la synthèse des deux composants. Les figure 2a et 2b résument les conclusions de cette étude.

 

 

 

 

 

 

La figure 2a montre que Colwellia peut synthétiser A, mais ne peut pas la convertir en Af. Pour Ba, tout se passe normalement. Ainsi, en l’absence de Af,  Colwellia ne produit pas la vitamine B12. Il faut noter que même sans cette capacité, Colwellia arbore dans sa paroi un canal qui permet le passage de la vitamine B12 qui viendrait de l’extérieur.  Grâce à un canal d’une autre  spécificité elle peut transférer Ba à Roseovarius, qui de son côté ne peut pas la produire. En revanche, Roseovarius produit Af, et de ce fait, avec l’aide de Ba venant de  Colwellia, elle produit de la vitamine B12. Il faut noter ici que Roseovarius arbore en plus le génome d’un bactériophage qui reste dormant. Tout va bien pour Roseovarius, mais cela n’arrange pas les affaires de Colwellia, car Roseovarius ne possède pas de canal qui pourrait excréter la vitamine B12, comme Colwellia le fait pour Ba.

 

 

 

 

 

 

Figure 2b. C’est à ce point qu’intervient le virus, virus de bactérie, appelé bactériophage. D’une manière encore mal comprise, la proximité de Colwellia réveille dans Roseovarius le génome dormant d’un bactériophage du nom de ICBM 167. Ce réveil aboutit à la production de bactériophages qui font ce que les bactériophages savent faire, détruire les parois bactériennes aboutissant à terme à la destruction des bactéries. Se faisant les molécules de vitamine B12 produites par Roseovarius sont relâchées dans le milieu ambiant et peuvent ainsi être captées par Colwellia. Au final, la disponibilité de la vitamine B12, nécessaire à la croissance des deux espèces de bactéries, passe non seulement par leur collaboration, mais également par la destruction de l’un des deux partenaires. Il devient évident qu’il doit y avoir un mécanisme de régulation qui prévient la destruction totale de la population des Roseovarius, qui amènerait à terme, celle des Colwellia. Collaboration, attention à l’autre, bactériophages à l’action retenue, le monde des microorganismes aurait-il des leçons à donner aux humains ? D’autant que leur durée de vie sur cette planète excède de plusieurs milliards d’années les quelques secondes allouées jusqu’ici à l’humanité. Quant aux virus, ils sont là depuis aussi longtemps que les bactéries. S’ils sont arrivés jusqu’à nous, c’est qu’ils ont eu leur utilité pendant tout ce temps.

*https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-de-la-nutrition/vitamines/carence-en-vitamine-b12

**https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/themes/denrees-alimentaires/alimentation-sante/viande-produits-carnes/vitamines/vitamine-b12.html

***Gerrit Wienhausen et al. 2024. Ligand cross-feeding resolves bacterial vitamin B12 auxotrophies. Nature 629: 886.

****Thème inspiré par la curiosité de Dominique Garcin.

A voir également:

 

La grippe aviaire nous pend-elle au nez ?

Les virus de la grippe aviaire infectent et circulent exclusivement dans le monde aviaire. Les virus de la grippe humaine infectent les humains et se propagent exclusivement entre humains. Ces caractéristiques servent à définir les virus. Ces affirmations péremptoires souffrent bien sûr d’exceptions.

Pour rester dans les généralités, ces exclusions réciproques reposent essentiellement, mais pas uniquement, sur la reconnaissance par les virus humains et aviaires de récepteurs différents auxquels les virus doivent se lier pour faire leur infection. On parle ici comme récepteur d’un résidu sucré, l’acide sialique, lié à une protéine cellulaire et présenté aux virus humains ou aviaires dans une configuration différente. Si l’acide sialique est la serrure dans laquelle le virus insère la clef  qui lui permet d’ouvrir la porte d’entrée dans la cellule, cette même serrure est orientée différemment sur les cellules humaines et les cellules aviaires, générant la différence de spécificité d’espèces. Pour simplifier la suite, appelons l’acide sialique récepteur dans sa conformation aviaire et humaine, respectivement AsA et AsH.

Les virus aviaires font généralement une infection du tube digestif et sont produits dans les fientes. C’est l’exposition aux fientes qui permet leur transmission. Les eaux contaminées constituent un moyen de transmission efficace, d’autant que les virus aviaires y survivent plusieurs semaines. Les virus humains infectent les voies respiratoires supérieures et se transmettent par gouttelettes et aérosols. Ce sont donc les cellules des muqueuses intestinales des oiseaux et les cellules des muqueuses respiratoires supérieures humaines qui sont la cible des virus infectants. Sans surprise, les cellules intestinales des oiseaux exposent à leur surface AsA et les cellules des voies respiratoires supérieures humaines AsH.

Jusqu’ici c’est assez simple, trop simple. Introduisons donc un peu de complexité. D’abord la spécificité apportée par AsA et AsH ne constitue pas l’unique critère de distinction entre les virus aviaires et humains. Par exemple, la température de tube gastrique des oiseaux est à 39°C et celle des voies respiratoires humaines à 33°C. Les cellules une fois infectées peuvent ainsi représenter des environnements plus ou moins propices à la multiplication virale. Ensuite, si AsH se retrouve presque exclusivement à la surface des cellules des voies respiratoires supérieures humaines, le récepteur aviaire AsA se retrouve également en minorité sur les cellules des voies respiratoires plus profondes. Enfin, un animal, proche de l’homme sous bien des aspects, le porc, affiche sur les cellules de ses voies respiratoires supérieures AsH et AsA. Ainsi, un virus aviaire qui aurait infecté une cellule humaine peut ne pas se multiplier aussi efficacement qu’il ne ferait dans une cellule aviaire, il lui faut un temps d’adaptation pour atteindre le niveau de multiplication et de transmission d’un virus humain.  Ensuite, un virus aviaire qui atteindrait les cellules des voies respiratoires humaines profondes y trouverait un récepteur AsA, ce qui permet l’infection humaine par un virus aviaire, d’où les cas d’infection humaines par des virus aviaires. Enfin, un virus aviaire pure souche trouve moyen d’infecter les voies respiratoires ou les muqueuses intestinales du porc, qui peut jouer un rôle clé dans l’adaptation d’un virus aviaire à l’homme.

Les virus de la grippe humaine qui se sont succédés depuis que l’on a été en mesure de les identifier, à savoir depuis la pandémie de H1N1 de 1918, ont tous eu comme origine des virus aviaires (cf. Viropourtous, https://viropourtous.ch/pandemies-de-grippe-saison-iii-les-pandemies-et-leur-virus/). Ces virus ont tous évolué pour, au minimum, acquérir la capacité à lier le récepteur AsH. Ce processus d’évolution est chez le porc plus facilement envisageable, car le passage du AsA au AsH peut se faire progressivement, avec des aller et retour même, puisque les virus en évolution conservent leur capacité d’infection, ayant à disposition les deux récepteurs. Le processus dans le monde aviaire est plus périlleux. En effet un virus aviaire qui aurait évolué vers une liaison au AsH perd sa capacité à infecter des cellules aviaires, et disparait. Il ne dépendrait pour survivre que de la rencontre opportune avec un humain ou un porc. La fréquence de rencontre avec l’humain est ainsi primordiale pour la survie d’un tel virus. On comprend que plus le virus aviaire « tourne » autour de la population humaine, et plus la probabilité qu’un mutant humain émerge de la population des virus aviaires est grande.

En 1966 un virus hautement pathogène pour les volailles a été identifié dans le sud de la Chine et caractérisé comme un virus de type A H5N1 (cf. Pour la nomenclature, voir : https://viropourtous.ch/virus-h1n1-h3n2-h5n8-etc-des-chiffres-et-des-lettres/). En 1997 ce virus se répand sur les marchés de Hong-Kong et nécessite pour le contrôler l’abattage de toutes les volailles. Il provoque l’infection de 18 humains, dont 6 vont décéder. Après cet éclat, le virus, pour un temps, n’est plus régulièrement détecté. De 2003 à 2005 pourtant, il réapparait en Chine et provoque des épidémies dans des élevages de volaille. En 2005, vraisemblablement transporté par des oiseaux sauvages, il fait son apparition en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe. Dès lors sous haute surveillance, le virus apparait de 2014-2016 sous des formes variées de H5N6 et H5N8 causant des épidémies en Asie, Europe, Moyen Orient et Amérique du Nord. DE 2021-2023, H5N1 réapparait de façon prédominante en Asie, Afrique, Europe et Moyen Orient. Il fait également son apparition au Canada et aux États-Unis. En date du début 2023, de nouveaux épisodes de H5N1 s’élèvent à 17 en Amérique, 5 en Asie et 15 en Europe. De fait entre 2005 et 2020, 246 millions de volailles sont mortes ou ont été abattues en raison de la grippe aviaire. Dans le même temps H5N1 est responsable de plus de 860 infections humaines avec une mortalité de plus de 50%. Il n’y a pourtant pas de démonstration convaincante de transmission efficace d’humain à humain, même si, dans quelques cas, comme récemment au Cambodge, une jeune fille infectée et décédée a été entourée par sa mère, également décédée et sa tante infectée mais survivante. Pour l’instant, le sentiment persiste que le virus aviaire H5N1 n’a pas franchi la barrière d’espèce et reste un virus aviaire.

Expérimentalement, il a été montré par deux études** dont l’utilité a été très controversée, que quelque 5 à 6 mutations sont suffisantes pour permettre au virus H5N1 d’acquérir la propriété de se transmettre par aérosol entre furets, des animaux qui représentent depuis longtemps un modèle d’infection pour les virus humains.

Quoiqu’il en soit, H5N1 semble augmenter sa présence dans les élevages de volailles et fait ainsi peser une menace non négligeable sur la population humaine. Plus le virus « tourne » autour de la population humaine et plus la probabilité d’un saut d’espèce est élevée. Sommes-nous préparés à affronter une nouvelle pandémie ? Comme le martelait Bob Webster, un éminent spécialiste des virus de la grippe, à la fin du siècle passé déjà en parlant d’une pandémie de grippe  : « La question n’est pas tant de savoir si, mais quand ». Bonne chance à nous tous.tes  !!!

Dernières nouvelles de H5N1 : https://www.cdc.gov/flu/avianflu/communication-resources/bird-flu-origin-infographic.html; https://www.woah.org/app/uploads/2023/02/hpai-situation-report-20230216.pdf

**Imai et al. Experimental adaptation of an influenza H5 HA confers respiratory droplet transmission to a reassortant H5 HA/H1N1 virus in ferrets. Nature 486, 420  (2012)

Herfst et al. Airborne transmission of influenza A/H5N1 virus between ferrets. Science 336, 1534 (2012).

 

 

Le vaccin qui prévient la variole du singe

Pour parler de vaccins contre la variole du singe, il faut en fait décrire les vaccins contre le virus de la variole humaine, car, pour l’instant, seuls ces derniers sont disponibles. Le virus de la variole du singe a été identifié chez l’humain en 1970 à la fin des campagnes de vaccination visant à l’éradication de la variole humaine, décrétée effective en 1980 par l’OMS. Continuer la lecture de Le vaccin qui prévient la variole du singe

Le virus de la variole du singe ou l’orthopoxvirose simienne (sic…)

Historique. La variole du singe est une maladie causée par le virus du même nom. Ce virus a été découvert en 1958 suite à une épidémie survenue chez des singes de laboratoire au Danemark. Le premier cas humain a été décrit en 1970 au Zaïre (actuellement la République Démocratique du Congo, RDC) chez un enfant de neuf mois, lors de l’intense campagne de vaccination visant à l’élimination de la variole humaine. Continuer la lecture de Le virus de la variole du singe ou l’orthopoxvirose simienne (sic…)

Covid 19 : histoire japonaise ou comment le virus a pu creuser sa tombe.

La réflexion qui suit procède de l’observation qu’au Japon, le virus ne circule quasiment plus à l’heure actuelle. On y dénote  moins de 100 nouveaux cas par jour pour 126 millions d’habitants, ce qui fait 0.72 cas/ million. En France, ce chiffre se monte à 472 cas/million. La Suisse fait encore mieux avec 872 cas/million. Comment expliquer cette différence phénoménale, sachant que le taux de vaccination japonais, s’il est supérieur, reste du même ordre (cf. Tableau ci-dessous). Continuer la lecture de Covid 19 : histoire japonaise ou comment le virus a pu creuser sa tombe.

Vaccinons-nous, vaccinons-nous, sinon….

La vaccination protège des formes graves de la Covid 19 chez les personnes à risque. La vaccination empêche la saturation des hôpitaux, permettant par là même la prise en charge de toutes les personnes nécessitant des soins hospitaliers. La vaccination protège tout un chacun (jeunes et moins jeunes) de l’infection par le Sars Cov-2 et de ses effets délétères à moyen et long terme. Continuer la lecture de Vaccinons-nous, vaccinons-nous, sinon….

Des variants et des hommes

Disons d’emblée que, pour un virologue averti, l’émergence des variants fait partie du jeu. Il n’y a, pour s’en convaincre, que de prendre le temps de lire deux ou trois articles de ce blog : La quasi-espèce, une hétérogénéité génétique extrême, Les propriétés de la quasi-espèce, Les virus ont une capacité d’adaptation formidable. Continuer la lecture de Des variants et des hommes