Histoires extraordinaires. Saison II : « Des virus au secours d’enfants souffrant d’immunodéficience sévère »

Plusieurs préliminaires sont utiles pour suivre cette histoire extraordinaire.

Préliminaire  viral d’abord. Son caractère d’organisme intracellulaire obligatoire fait d’un virus un outil spécialisé dans l’introduction dans les cellules de gènes nécessaires à sa multiplication (cf. Un virus, ça se multiplie comment ?). Pour les rétrovirus, cette spécialité va jusqu’à introduire les gènes viraux dans le génome des cellules infectées. L’introduction du génome viral se fait de manière non ciblée, de manière aléatoire, là où l’accès au génome de l’hôte est le plus aisé.

Préliminaires sur l’hôte infecté. L’infection par des pathogènes est contrée par des mécanismes de défenses qui impliquent toute une série de protéines et de cellules. Ces cellules sont dérivées de cellules souches hématopoïétiques présentes dans la moelle osseuse. Parmi ces cellules, les lymphocytes sont essentiels. Il en existe, en gros deux catégories, les lymphocytes T et B. Les lymphocytes T se subdivisent eux-mêmes en lymphocytes qui orchestrent la réponse de défense et lymphocytes qui détruisent les cellules infectées. Les lymphocytes B produisent des anticorps. La destruction des cellules infectées et la neutralisation des agents pathogènes par les anticorps permettent, dans la vaste majorité des cas, de surmonter les effets négatifs des infections, voire d’éliminer les agents infectieux.

Préliminaires sur une maladie génétique. Le défaut immunologique sévère combiné lié au chromosome X (DISC-X1 en français ; SCID-X1 en anglais) est le résultat de mutations dans un gène produisant une protéine essentielle pour la maturation des lymphocytes T et B à partir des cellules souches et pour leur bon fonctionnement. Ces mutations annulent la fonction de cette protéine et les réponses de défense liées aux lymphocytes sont déficitaires. Les nouveau-nés atteints de cette maladie doivent vivre dans un environnement stérile (on parle de bébés-bulle) où leur espérance de vie est très limitée. La seule thérapie proposée est une greffe de moelle osseuse, opération lourde et dépendante de la disponibilité de donneurs compatibles.

Préliminaire sur la thérapie génique. La thérapie génique, c’est le soin par le gène ou le gène médicament. On vise à pallier au mauvais fonctionnement du gène muté (malade) par l’introduction de sa version normale (saine). Dans le cas présent, il s’agit d’introduire dans le génome des cellules souches de la moelle osseuse la version normale du gène concerné. Introduire un gène, avez-vous dit ? Mais c’est la spécialité des rétrovirus. L’histoire extraordinaire peut commencer.

On est à la fin des années 1990, à Paris, Hôpital Necker. Une équipe mixte, composée d’une unité INSERM (institut national de la santé et de la recherche médicale) et de l’Unité d’immunologie et d’hématologie pédiatrique, qui travaille depuis plus d’une décennie sur le sujet, obtient l’autorisation de tenter l’expérience. Un vecteur viral est préparé à partir d’un rétrovirus (le virus Moloney de la leucémie de la souris). Qu’a-t-il de particulier ce vecteur viral ? Il a l’aspect extérieur d’un rétrovirus, à savoir tout ce qu’il faut à la surface de sa particule pour se fixer sur la cellule et y injecter son génome (cf. Un virus ça se multiplie comment), et ce qu’il faut à l’intérieur de la particule pour intégrer ce génome dans le génome de la cellule. Bien sûr, le génome viral a été complètement modifié. Tous les gènes permettant une multiplication virale ont été enlevés et remplacés par le gène de la protéine humaine. Restent également dans ce génome des petites parties d’information génétique virale permettant au gène humain d’être actif et de produire la protéine humaine. Cette particule virale modifiée est dite « défective », elle ne peut en aucun cas établir une infection productive de nouveaux virus : on parle d’ailleurs de « transduction » et non d’infection. Des cellules de la moelle osseuse de jeunes patients (quelques mois de vie) sont isolées, «transduites»  en laboratoire avec le virus défectif, puis réimplantées à ces mêmes patients. Dans un premier temps deux enfants âgés de 11 et 8 mois sont traités. C’est un procédé de rêve. Pas de danger de rejet des cellules transduites injectées, puisqu’elles proviennent originellement du patient lui-même. Pas de traitement pour détruire préalablement la moelle avant réimplantation, car les cellules qui contiennent le bon gène ont un avantage sélectif sur les cellules « malades ». La première publication en avril 2000* fait état du succès de ces deux cas. Dix mois après l’opération, la thérapie génique a « corrigé complètement la maladie et apporté un bénéfice clinique évident », les petits patients quittent l’hôpital et vivent normalement.

En avril 2002*, nouvelle publication, cinq nouveaux patients ont été traités, quatre avec succès. En octobre 2003*, nouvelle publication, on en est à 10 patients traités. Cette fois pourtant, c’est la douche froide. Deux petits patients, chez qui la thérapie génique a fonctionné ont développé une leucémie : des lymphocytes T se multiplient de façon incontrôlée. L’analyse génétique fine de ces deux patients a montré que le gène « sain » a été intégré à proximité d’un gène (LMO2) qui produit lui-même une protéine dont le rôle est de promouvoir la multiplication des lymphocytes. Cette protéine est normalement produite durant le temps où les lymphocytes sont nécessaires pour faire le travail de nettoyage de l’infection. Un fois le travail accompli, LMO2 n’est plus actif et les lymphocytes meurent. Dans le cas de ces deux patients, LMO2 continue à produire sa protéine vraisemblablement parce que l’introduction du gène sain dans sa proximité immédiate a conduit à la perte de contrôle de son activité : la protéine produite par LMO2 entretient la multiplication incontrôlée des lymphocytes. Même si ces leucémies sont contrôlées, leur survenue a arrêté les essais de thérapie génique, ou du moins les a ralentis, n’intervenant que lorsqu’il n’y a pas d’alternative de traitement.

En 2014*, nouvelle publication par des chercheurs du même groupe parisien associé à des chercheurs anglais et américains. On en est à ce moment à vingt enfants traités avec succès, avec la survenue de cinq cas de leucémie. L’analyse de ces leucémies met en évidence une cascade d’événements génétiques que l’introduction du gène « sain » semble déclencher. Quatre de ces cinq cas de leucémie semblent contrôlés par la chimiothérapie. Cette dernière publication fait état de l’utilisation d’un vecteur viral modifié dont on attend les effets bénéfiques. Rappelons que dans cet exemple, les petits patients DISC-X1 ont une forte probabilité de ne pas survivre au-delà de la première année, s’ils n’ont pas la possibilité de recevoir une greffe de moelle.

A l’heure du bilan de l’aventure, la démonstration a été apportée de la faisabilité de l’approche thérapeutique qui procure un bénéfice clinique incontestable dans 75% des cas. Le bilan est terni par la survenue de leucémies dans les 25% restant. Pourtant, un profit peut être tiré de ces échecs relatifs dans la mesure où leur analyse détaillée a permis de circonscrire des problèmes qui, s’ils étaient pressentis, au vu notamment de l’insertion aléatoire du gène, ont pu être objectivés. Cette analyse a permis de percevoir la complexité des interactions nécessaires à la mise en place et au fonctionnement des lymphocytes dans la réponse immunitaire. Un gène, une protéine, oui, mais au milieu d’un réseau dense finement régulé. Il ne suffit pas que la protéine soit produite, encore faut-il qu’elle le soit au bon moment, à la bonne dose, au bon endroit.

L’histoire extraordinaire n’est bien entendu pas terminée, tant la thérapie génique possède un potentiel exceptionnel. Le cas présenté ici n’est pas le seul tenté et partiellement réussi. Pour l’instant les vecteurs viraux ont joué un rôle central dans le développement de cette approche thérapeutique. Avec l’avancée de la maîtrise des transferts et des modifications génétiques, il est à parier que l’on sera prochainement en mesure de substituer précisément le gène malade par sa version « saine », ce qui aurait comme avantage énorme de le placer dans son environnement génétique naturel, garant d’une activité en tous points identique au gène originel.

  • Cavanazzo-Calvo et al. 2000. Science 288, 669-672
  • Hacein-Bey-Abina et al. 2002. N Engl J Med 346, 1185-1193
  • Hacein-Bey-Abina et al. 2003. Science 302, 415-419
  • Hacein-Bey-Abina et al. 2014. N Engl J Med 371, 1407-1417.