En guise d’introduction.
« La vitamine B12 (cobalamines), avec le folate, est nécessaire à la formation et à la maturation des globules rouges ainsi qu’à la synthèse de l’ADN (acide désoxyribonucléique), qui est le matériel génétique des cellules. La vitamine B12 est également nécessaire à la fonction nerveuse. Les bonnes sources de vitamine B12 incluent les viandes (essentiellement bœuf, porc, foie et autres abats), les œufs, les céréales enrichies, le lait, les palourdes, les huîtres, le saumon et le thon. »*
La vitamine B12 est un cofacteur essentiel de différentes enzymes. Sa carence provoque, entre autres, un dysfonctionnement de la formation du sang dans la moelle osseuse ainsi que de sévères modifications dans le système nerveux. Dans les pays industrialisés occidentaux, l’anémie pernicieuse est la maladie liée à une carence vitaminique la plus répandue et exige une thérapie. Ceci peut être dû non seulement à une consommation trop faible de vitamine B12, mais aussi à une réduction de l’absorption de la vitamine B12 au niveau de l’intestin.**
Seuls quelques microorganismes (bactéries) sont capables de synthétiser la vitamine B12. L’homme, qui selon toute vraisemblance, ne possède pas dans sa faune intestinale les bactéries nécessaires à sa production, est donc tributaire d’un apport exogène régulier de cette vitamine et les aliments d’origine animale sont les seules sources dont la teneur est considérable. La synthèse bactérienne de la vitamine B12 a lieu dans la panse et l’intestin des animaux. Sa faible présence dans les aliments d’origine végétale (produits végétaux fermentés, par ex. choucroute, bière) entraîne en cas de diète purement végétale (végétalien) une couverture insuffisante des besoins en Vitamine B12.
Production naturelle de vitamine B12
Comme évoqué ci-dessus, la synthèse de Vitamine B12 a lieu dans un nombre limité de bactéries, alors qu’elle est essentielle pour la plupart des bactéries marines et des organismes des trois grands règnes du monde vivant : les animaux, les champignons et les plantes. Dans une publication récente parue dans Nature*** en mai dernier, une panoplie de chercheurs, décortique sa production dans des bactéries marines. Au pluriel, car il faut la collaboration de deux espèces de bactéries pour le faire, répondant au doux noms de Colwellia et Roseovarius. Les deux espèces de bactéries sont auxotrophes pour la Vitamine B12, c’est-à-dire qu’elles sont dépendantes de la B12 pour leur croissance, mais qu’elles ne peuvent pas la produire individuellement. C’est donc une histoire de collaboration qui va suivre. Et le virus alors, que vient-il faire dans cette affaire. Patience, patience…
La figure 1, résume le processus de synthèse de la vitamine B12. Un anneau de corrinoid (appelé A), modifié en Af après adjonction de cobalt et un ligand a-ribazole (appelé B), qui doit être activé par l’adjonction d’une queue ( Ba) sont assemblés pour produire le vitamine B12. Ces processus biochimiques nécessitent la présence d’enzymes appropriées et de canaux de passage des molécules. La présence ou l’absence dans le génome bactérien des gènes permettant la production de ces éléments a permis de déduire si les bactéries étaient compétentes ou non pour la synthèse des deux composants. Les figure 2a et 2b résument les conclusions de cette étude.
La figure 2a montre que Colwellia peut synthétiser A, mais ne peut pas la convertir en Af. Pour Ba, tout se passe normalement. Ainsi, en l’absence de Af, Colwellia ne produit pas la vitamine B12. Il faut noter que même sans cette capacité, Colwellia arbore dans sa paroi un canal qui permet le passage de la vitamine B12 qui viendrait de l’extérieur. Grâce à un canal d’une autre spécificité elle peut transférer Ba à Roseovarius, qui de son côté ne peut pas la produire. En revanche, Roseovarius produit Af, et de ce fait, avec l’aide de Ba venant de Colwellia, elle produit de la vitamine B12. Il faut noter ici que Roseovarius arbore en plus le génome d’un bactériophage qui reste dormant. Tout va bien pour Roseovarius, mais cela n’arrange pas les affaires de Colwellia, car Roseovarius ne possède pas de canal qui pourrait excréter la vitamine B12, comme Colwellia le fait pour Ba.
Figure 2b. C’est à ce point qu’intervient le virus, virus de bactérie, appelé bactériophage. D’une manière encore mal comprise, la proximité de Colwellia réveille dans Roseovarius le génome dormant d’un bactériophage du nom de ICBM 167. Ce réveil aboutit à la production de bactériophages qui font ce que les bactériophages savent faire, détruire les parois bactériennes aboutissant à terme à la destruction des bactéries. Se faisant les molécules de vitamine B12 produites par Roseovarius sont relâchées dans le milieu ambiant et peuvent ainsi être captées par Colwellia. Au final, la disponibilité de la vitamine B12, nécessaire à la croissance des deux espèces de bactéries, passe non seulement par leur collaboration, mais également par la destruction de l’un des deux partenaires. Il devient évident qu’il doit y avoir un mécanisme de régulation qui prévient la destruction totale de la population des Roseovarius, qui amènerait à terme, celle des Colwellia. Collaboration, attention à l’autre, bactériophages à l’action retenue, le monde des microorganismes aurait-il des leçons à donner aux humains ? D’autant que leur durée de vie sur cette planète excède de plusieurs milliards d’années les quelques secondes allouées jusqu’ici à l’humanité. Quant aux virus, ils sont là depuis aussi longtemps que les bactéries. S’ils sont arrivés jusqu’à nous, c’est qu’ils ont eu leur utilité pendant tout ce temps.
*https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-de-la-nutrition/vitamines/carence-en-vitamine-b12
***Gerrit Wienhausen et al. 2024. Ligand cross-feeding resolves bacterial vitamin B12 auxotrophies. Nature 629: 886.
****Thème inspiré par la curiosité de Dominique Garcin.
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