COVID-19, état des lieux, fin septembre 2021, exercice critique

Voici des chiffres qui comparent les cas déclarés, moyenne de 10 jours, du 21 au 30 septembre, rapportés à 100’000 habitants, pour les pays cités et la planète entière. Ces chiffres sont tirés du site indiqué au bas du tableau. En regard, dans les deux colonnes adjacentes, sont indiqués les pourcentages de vaccination de ces mêmes pays à la date indiquée. Pourquoi deux colonnes ? Parce que les chiffres varient selon les sources. Dans les deux cas pourtant, la Suisse arrive en queue de peloton, avec un pourcentage de vaccination d’environ 10% de moins.

Comme la Suisse arrive en tête pour le nombre de cas déclarés, hormis la planète, la conclusion qui s’impose immédiatement, c’est que le taux de vaccination le plus bas explique cette première place des cas déclarés. Bravo les Suisses !! Bien qu’il y ait de nombreux secteurs où la Suisse caracole en tête, le système de santé, le nombre de milliardaires au kilomètre carré, le nombre de personnes qui savent par eux-mêmes ce qu’il en est, le coût des primes de caisse maladie, le plus grand nombre de champions de hornuss etc., il est toujours gratifiant d’avoir un nouveau motif de consolider l’estime de ce si petit pays, mais combien important pour la marche du monde.

Un regard plus critique sur ces chiffres pourrait soulever l’objection qu’en Suisse le décompte des cas déclarés se fait avec plus de précision que dans les pays d’alentour. En effet, dès le départ de cette pandémie, il était clair qu’un nombre important d’infections n’était pas déclaré parce que bénignes, ou bien plus, asymptomatiques. Lors du premier décompte des personnes infectées par mesure d’anticorps dans le sang, à Genève*, il s’est avéré que ce nombre dépassait presque de 10 fois celui des cas déclarés. Avec la survenue des tests de dépistage, le décompte des cas déclarés a dû forcément augmenter. Ce serait donc une efficacité redoutable des cas dépistés qui serait responsable de la première place de la Suisse actuellement. Pour en avoir le cœur net, il faudrait posséder le nombre des tests de dépistage effectués dans chacun des pays. Une tentative d’obtenir ces chiffres en Suisse ou en France en surfant sur le web a échoué, vraisemblablement parce que ce suivi n’a pas été fait, et pour cause. Les services de santé ont d’autres chats à fouetter. On va donc postuler que les cas déclarés sont sous-estimés de manière identique dans les pays cités. L’autre possibilité pourrait venir d’une sous-estimation, en Suisse, du nombre de vaccinations. Cette possibilité peut être exclue, car l’on voit mal comment des cas de vaccinations pourraient ne pas être décomptés dans le contexte actuel où les doses de vaccins sont distribuées et administrées sous haute surveillance. De plus on ne comprend pas que dans le contexte actuel 10% des personnes se seraient vaccinées « clandestinement ». De manière similaire, on ne comprend pas facilement que dans les pays voisins de la Suisse, le nombre de personnes vaccinées serait gonflé, frauduleusement, pour faire bonne figure, pour des raisons électoralistes, ou pour calmer les esprits, si par ailleurs la pandémie flambait. Le plus simple et le plus rassurant, c’est donc d’admettre que les Suisses rechignent plus que les Européens à se vacciner, et que ce retard de vaccination est reflété dans un nombre plus élevé de cas déclarés. Donc, l’effet bénéfique de la vaccination est déjà visible avec une différence de taux de vaccination de 10%. Ainsi, la vaccination ne protège pas seulement des atteintes graves à la santé (90% des personnes hospitalisées atteintes de COVID sont non-vaccinées), mais même en dessous du seuil d’établissement de l’immunité de troupeau (~85% ??), elle ralentit la propagation virale dans la population, et une différence de 10% a une importance.

Face à cette situation, une autre question peut être posée. Pourquoi les Suisses affichent-ils.elles une réticence plus forte à la vaccination. Crise de confiance envers les gouvernants.tes ? Crise de confiance envers ceux qui influencent les gourvernants.tes, les scientifiques, les médecins, les épidémiologistes ? En quoi les Suisses seraient-ils.elles différents.es en cela des Européens.nes. Sentiment d’invulnérabilité, fondé sur la fausse conviction qu’en Suisse on est plus en sécurité que nulle part ailleurs ? « Y en a point comme nous ». Aisance de vie qui permet de développer des préoccupations liées au développement personnel qui passent par la conviction que chacun doit découvrir « sa vérité », une vérité qui fait fi de la réalité ? Le niveau de vie est-il si différent de celui des Allemands, des Français, des Italiens ou des Suédois ? Et si l’on touchait ici à un effet adverse de la démocratie directe tant vantée qui veut que le peuple soit appelé à donner son avis sur tout, et souvent sur rien. La crise sanitaire a fait que des décisions ont été prises dans l’urgence, comme la constitution le prévoit d’ailleurs, sans consultation du peuple souverain. Les Suisses n’ont rien eu à dire, mais il a fallu constamment faire en sorte qu’ils.elles ne se sentent pas lésés.es. On en a pris soin comme l’on prendrait soin d’un enfant capricieux. Quand l’occasion se présente de ne pas faire partie du troupeau, les Suisses prennent leur revanche. Il faut espérer que cette saute d’humeur ne vienne pas compromettre la maîtrise de cette fichue pandémie qui met à mal notre confort de vie, et parfois notre vie. Rien de comparable, pourtant, à ce qui nous attend face à la crise climatique.

*Seroprevalence in Geneva Stringhini et al. Lancet. 2020 Aug 1; 396(10247):313-319