La langue bleue (bluetongue en anglais) est une maladie virale qui touche les ruminants domestiques (moutons, chèvres, bovins) ou sauvages. Le virus responsable de cette maladie, le Bluetongue virus (BTV), appartient à la famille des Reoviridae, genre Orbivirus.
Le virus.
Les Reoviridae sont des virus non enveloppés, c’est à dire que leur délimitation n’est pas constituée d’une enveloppe bi-lipidique (graisseuse) qui les rend sensibles aux détergents comme les virus de la grippe ou le SARS CoV 2. Leur couche externe est formée d’une solide coque de protéines organisée en 3 couches (cf. figure ) qui rendent les virus très résistants dans l’environnement extracellulaire. La couche externe, composée de deux protéines VP2 et VP5, est celle qui entre en contact avec la cellule à infecter en se liant à une protéine cellulaire, le récepteur, qui n’est pas encore identifié avec certitude. La couche intermédiaire fait le lien entre la couche externe et la couche interne qui rassemble les composants viraux au moment de la formation des nouvelles particules virales. A l’intérieur de la particule, se trouvent empaquetées les enzymes nécessaires à la réplication du génome viral composé de 10 segments d’ARN et à la synthèse des ARN messagers viraux. Le génome est composé d’ARN, mais il se distingue d’autres virus à ARN (par ex. SARS CoV2, virus de la rougeole, virus de la poliomyélite) par le fait que cet ARN est double brin (ARN db). De plus ce génome est fractionné en dix segments. La nature du génome de BTV, ARN double brin en dix segments, a des conséquences sur son cycle de multiplication et sur les capacités d’évolution du virus. Notamment si deux virus légèrement différents infectent une même cellule, la répartition des segments lors de l’assemblage des nouveaux virus peut donner lieu à un réassortiment menant à la production d’un nouveau virus qui a incorporé des segments de l’un et de l’autre virus infectant. Ce phénomène de réassortiment est bien connu pour les virus de la grippe dont le génome d’ARN simple brin est fractionné en 7-8 segments. Les nouveaux virus humains issus des virus aviaires ont tous profité de ce phénomène dans leur évolution. Pour les BTV l’étendue du réassortiment n’a pas encore été étudiée, mais le fait que l’on connaisse à ce jour plus d’une 25 sérotypes différents permet de penser qu’il joue un rôle similaire à celui des virus grippaux.
L’infection
Le virus se transmet par des moucherons (Culicoides). Les insectes qui se nourrissent de sang d’un animal infecté transmettent à leur tour le virus en se nourrissant sur un congénère sain. Le virus peut également se multiplier dans le moucheron, augmentant ainsi la quantité de virus transmis. Les signes cliniques correspondent à ceux généralement observés lors de développement de fièvres hémorragiques (hémorragie, fuite vasculaire, œdème..) avec plus ou moins de gravité selon les types de virus et la nature des hôtes infectés. Le virus peut traverser la barrière placentaire et provoquer des avortements ou des malformations congénitales. La langue gonflée et cyanosée, donnant le nom au virus, est un symptôme qui, pour être spectaculaire, n’est pas très fréquent. Les moutons sont les plus affectés. Chez les bovins l’infection passe souvent inaperçue cliniquement. En fait la gravité de l’infection, pouvant être mortelle à large échelle, dépend du sérotype*de virus ainsi que de l’espèce de moucherons qui le véhicule.
Le changement climatique a vraisemblablement altéré les périodes d’activité des moucherons ainsi que la taille de leur population. Les espèces de moucherons présents dans l’Europe du nord et l’Europe centrale, différentes de l’espèce Africaine, se sont révélées des vecteurs efficaces, à l’encontre de ce qui avait été pressenti. Les infections associées aux chèvres récemment découvertes, impliquant notamment le sérotype 25 en Europe centrale, semblent avoir des propriétés biologiques distinctes et une épidémiologie qui ne dépend pas des moucherons Culicoides comme vecteurs de transmission du virus. Les épidémies de langue bleue peuvent avoir des conséquences graves pour l’agriculture, affectant la santé des animaux, leur productivité, baisse de production de lait, reproduction diminuée et altérée, et la qualité des produits (lait, viande). Certaines formes de la maladie peuvent provoquer des pertes massives de bétail. L’impact économique peut être lourd, en particulier dans les régions où l’élevage constitue une part importante de l’économie.
Transmission à l’homme
A ce jour, la transmission de la maladie à l’homme ne fait l’objet d’aucune publication. Des études pour savoir si les personnes en contact avec des animaux infectés auraient développé des anticorps témoignant d’une infection asymptomatique font également défaut dans la littérature spécialisée. Ainsi, à ce stade les virus BTV ne posent pas de problème de santé chez l’humain.
Historique
La première description clinique de la langue bleue a été faite en Afrique du Sud en 1905, où des animaux ont montré des signes caractéristiques de la maladie. L’agent causal a été défini comme un virus lorsque la maladie a pu être transmise par un filtrat retenant bactéries et levures. Le virus a été isolé pour la première fois en 1940. Entre 1950 et 1960, des épidémies importantes ont été signalées en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, affectant les gravement troupeaux de moutons. Dès les années 1990, le virus se propage vers de nouvelles zones, notamment en Europe, où il cause des épidémies sévères chez les animaux domestiques. Dans le même temps plus de 25 sérotypes distincts sont identifiés. Pour mémoire un sérotype correspond à un type de virus qui provoque après infection la montée d’anticorps spécifiques capables de se lier au virus et d’empêcher son infection. Les sérotypes diffèrent donc par la propriété de se lier à des anticorps différents. Un animal immunisé contre un sérotype restera ainsi sensible à l’infection par un sérotype différent.
Dès les années 2000 le BTV se répand en Europe à partir de la péninsule ibérique. La situation en Suisse en depuis août 2024 montre la circulation des deux sérotypes BTV-8 et BTV3. La propagation du virus a été fortement influencée par les conditions climatiques. Les épisodes de chaleur et d’humidité favorisent la multiplication des Culicoides, facilitant ainsi la propagation du virus dans de nouvelles régions.
Les vaccins (cf. voir pour la généralité La vaccination)
De manière étonnante, le BTV a fait l’objet d’une recherche foisonnante aboutissant à la préparation de différents types de vaccins. Des vaccins atténués, des vaccins inactivés, des vaccins basés sur le génie génétique de différentes sortes. La question qui sous-tend l’utilisation de ces différents vaccins reste celle de pouvoir distinguer un animal vacciné d’un animal infecté asymptomatique. Les deux présentent des anticorps anti-BTV, mais le premier ne présente aucun danger pour la propagation du virus alors que le second peut constituer le repas d’un moucheron qui, après avoir amplifié la masse virale, le propage dans le troupeau. C’est une raison pour laquelle la vaccination n’est pas toujours vue comme la solution immédiate dans la lutte contre l’infection virale. Les mesures de luttes passent aussi par le contrôle des vecteurs visant à réduire la population des moucherons (répulsifs) et une surveillance conduisant à des quarantaines sévères et rapides.
Vaccins vivants atténués. Les virus, souvent plusieurs sérotypes présents dans une zone endémique, sont cultivés en série dans des œufs embryonnés de poulet. Une fois la souche vaccinale obtenue, sa préparation est relativement bon marché. Ces vaccins induisent une immunité de longue durée et généralement peu ou pas d’effets secondaires indésirables, à l’exception du sérotype BTV 16. Pourtant chez les ovins, des réactions plus marquées peuvent êtres observées : lésions au site d’injection, diminution de production de lait, avortements. Les virus atténués sont détectés dans le sang des animaux vaccinés pendant plus de 70 jours. Ils peuvent être détectés dans des moucherons qui peuvent les transmettre. Cette survie peut participer à la vaccination du troupeau, mais également favoriser des réversions des virus atténués à l’état sauvage.
Vaccins inactivés. Les virus, inactvés par traitement chimique ne sont disponibles que pour un nombre restreint de sérotypes. Ces vaccins induisent une immunité de plus courte durée ce qui nécessite l’injection d’une seconde dose (booster).
L’utilisation de ces deux types de vaccins ne sont pas compatibles avec la discrimination entre animaux infectés et animaux vaccinés. En conséquence, elle ne permet pas la levée des restrictions de transport des animaux.
Vaccins sous-unités. Dans ce cas, une ou quelques protéines virales, purifiées ou produites par génie génétique sous utilisées, enrobées dans une capsule graisseuse. Le choix des protéines virales est ici primordial. Il s’agit avant tout de protéines qui composent la coque protectrice du virus (VP2, VP5, VP3 et VP7). Des cocktails de protéines de sérotypes différents peuvent être concoctés, ceci en fonction des différents virus qui circulent dans un environnement donné.
Vaccins issus de la génétique inverse. La génétique inverse est un processus de laboratoire qui permet de produire un virus à partir de son génome, obtenu par synthèse chimique suivant la séquence connue de son acide nucléique. Un tel procédé est ouvert à la modification du génome de sorte que le virus produit affiche bien sa carte d’identité nécessaire à promouvoir une réponse immune, sans pour autant que le virus puisse se multiplier. Dans le cas de BTV le virus produit est déficient pour l’enzyme responsable de la réplication du génome (omission d’un des dix segments du génome) de sorte que ce virus ne peut pas se répandre dans l’hôte infecté. Ce vaccin est lui-même produit en laboratoire sur des cellules auxquelles a été ajoutée la propriété de produire l’enzyme virale manquante. Un tel virus est qualifié d’ECRA pour « Entrée Compétent Réplication Abortif ». Avec cette approche, les segments du génome responsables pour la synthèse des protéines de la coque peuvent être adaptés aux sérotypes circulant dans une région. Des versions de virus avec une virulence diminuée, en omettant par exemple un segment impliqué dans la virulence (VP3), peuvent servir de vaccins atténués. Ces vaccins ne sont pas forcément disponibles sur le marché, car encore à l’étude. Nul doute qu’ils vont servir de ballons d’essai pour des vaccins contre des pathogènes humains. Un exemple de vaccin issu de la génétique inverse chez l’humain est présenté dans le chapitre qui traite du vaccin contre le virus Ebola.
En Suisse, trois vaccins (inactivés) contre le BTV-3 sont commercialisés actuellement (voir ci-après), mais aucun d’entre eux n’est pour l’heure homologué en Suisse ni dans l’UE. Un document publié le 24 janvier 2025 est disponible sur le site de l’OSAV qui traite en détail de ce sujet.