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La dermatose nodulaire contagieuse

Historique.

La DNC, Dermatose Nodulaire Contagieuse, (en anglais, Lumpy Skin Disease, LSD) a été signalée pour la première fois en 1929 en Zambie. Sa première apparition hors d’Afrique a été signalée en Israël entre 1986 et 1988 et s’est progressivement propagée au Moyen-Orient, puis en Europe de l’Est et en Russie, avant de se propager dans les Balkans. En 2019, de nouveaux cas ont été signalés en Asie du Sud et de l’Est, représentant une menace permanente pour tous les pays indo-asiatiques, dont l’Afghanistan, le Pakistan et l’Inde. L’identification de cas actifs en Asie (Chine, Cambodge, Singapour et Indonésie) a suscité des inquiétudes quant à l’intrusion de ce virus dans des pays indemnes de DNC et possédant d’importantes populations bovines naïves, comme l’Australie : Depuis, elle a fait irruption dans les pays Européens, dont l’Espagne, l’Italie et la France, dans des régions proches de la Suisse.

 

 

 

 

 

Le virus.

La dermatose nodulaire contagieuse est causée par un virus de la famille des Orthopox virus, dont on connait bien les virus de la variole humaine et de la variole du singe . C’est donc un virus à ADN avec un génome très fourni permettant la synthèse de près d’une centaine de protéines, qui le rend pratiquement indépendant des fonctions des cellules qu’il infecte, à l’exclusion de la production d’énergie et de l’utilisation de la machine de synthèse des protéines. Le virus peut être excrété par les sécrétions nasales et lacrymales, le lait et le sperme, et sa viabilité est observée jusqu’à 11 jours dans le lait et 22 jours dans le sperme. Il n’existe aucune preuve de la présence du virus dans la viande d’animaux infectés, mais le virus peut être isolé à partir de surfaces infectées, notamment dans le matériel d’élevage et de transport. Le virus résiste à l’inactivation et peut rester viable jusqu’à 35 jours dans des croûtes cutanées desséchées, plus de 33 jours dans des nodules cutanés nécrotiques et au moins 18 jours dans des peaux séchées à l’air. Il peut persister dans l’environnement pendant de plus longues périodes, notamment dans l’obscurité des étables contaminées, où il peut persister plusieurs mois. Cette persistance fait du virus de la DNC une menace importante pour la biosécurité de l’industrie mondiale de l’élevage. Le virus ne provoque de maladie que chez les espèces bovines, les bovins et les buffles d’eau (Bos taurus, Bos indicus). Le virus partage pourtant des caractéristiques avec des virus de la même famille infectant les chèvres ou les moutons.

Transmission.

La maladie contagieuse est transmise par divers vecteurs tels que les mouches piqueuses, les poux, les tiques, les moustiques et les guêpes, mais aussi par contact étroit avec des animaux infectés ou des mangeoires et des abreuvoirs contaminés. Les vaches en lactation peuvent également transmettre le virus aux veaux allaités par le lait contaminé et par des lésions cutanées de la tétine. Une transmission verticale a été démontrée expérimentalement par la transmission de sperme infecté lors d’une saillie naturelle ou d’une insémination artificielle. Le virus peut persister jusqu’à 42 jours après l’infection dans le sperme. Le temps chaud et humide responsable de la multiplication des vecteurs et d’une augmentation de leur activité, rend la saison des pluies d’été et d’automne ainsi que les basses terres marécageuses épidémiologiquement plus propices à l’apparition de cette maladie.

 

La maladie.

La DNC se caractérise par une morbidité élevée et une faible mortalité. Selon la réponse immunitaire de l’hôte, les animaux atteints peuvent présenter une forme clinique aiguë ou chronique. Fièvre, anorexie, lympho-adénopathie, rhinorrhée et lésions cutanées distinctes caractérisent le stade aigu de l’infection, tandis que les animaux au stade chronique présentent une faible production de lait et une infertilité. Les veaux ont tendance à présenter des signes cliniques plus graves que les adultes. L’impact économique se traduit par une baisse de la production laitière, une mauvaise qualité des peaux et de la viande, des avortements et des décès.

Lutte.

Empêcher la propagation de la DNC dans une zone indemne ou éradiquer la maladie dans une zone nécessite plusieurs mesures de contrôle : une quarantaine stricte, la restriction des déplacements des animaux, la vaccination avec des vaccins vivants atténués (cf. ci-dessous), l’isolement et l’abattage des animaux atteints, l’élimination appropriée des carcasses, le nettoyage et la désinfection des locaux et, sans oublier, la lutte contre les insectes. Parfois, l’abattage de troupeaux entiers est recommandé, mais en cas d’endémie, les élevages touchés isolent souvent les animaux malades et leur administrent un traitement symptomatique, pouvant inclure des pansements pour prévenir les infestations de mouches et les infections secondaires. Le profil d’émergence, les antécédents de réémergence et le risque d’incursion de la DNC dans les pays non infectés augmentent progressivement. Il est donc urgent d’identifier de nouvelles mesures permettant de tracer rapidement l’infection et d’élaborer des stratégies de contrôle efficace. L’information génomique est une ressource essentielle, récemment utilisée pour le traçage, le typage et l’identification rapides du point de mutation des agents infectieux, ainsi que pour élaborer des stratégies de contrôle et d’éradication appropriées (cf. ci-dessous tests DIVA).

Vaccins et controverses vaccinales

Selon l’Organisation Mondiale de la Santé Animale (OMSA), une vaccination appropriée permet de contrôler la DNC en conférant aux bovins une bonne immunité contre le virus. Récemment, des vaccins vivants atténués, homologues (vaccination des bovins avec un vaccin à base de virus DNC) et hétérologues (vaccination des bovins avec un vaccin à base de virus de la variole ovine/caprine)ont été utilisés pour contrôler l’épidémie dans les régions endémiques . Le vaccin homologue atténué disponible est constitué de la souche sud-africaine Neethling. Ce vaccin dit Neethling est celui le plus couramment utilisé. Il est produit après 61 passages en série dans des cellules rénales d’agneau (cf. Les vaccins), suivis de 20 passages sur la membrane chorioallantoïque d’œufs de poule embryonnés, pour finir par trois passages sur les cellules rénales d’agneau initiales. Son efficacité a été démontrée. Ses effets indésirables vont d’une réaction cutanée locale à des nodules cutanés généralisés de petite taille, accompagnés d’une diminution de la production de lait. Plusieurs études ont démontré la présence de virus vaccinal dans les nodules cutanés, le sang et le lait d’animaux vaccinés. Il n’est pas fait mention de cas d’animaux ayant reçu la souche vaccinale au contact de ces animaux vaccinés, ce qui pourrait représenter l’avantage de faciliter le maintien de la souche vaccinale dans une population de bovins. Les souches de vaccins hétérologues O-240 et O-180 de la variole du mouton et de la chèvre, respectivement, sont utilisées dans des régions où la variole du mouton ou de la chèvre sévit également.

Les vaccins inactivés ne sont pas encore décrits dans le manuel de l’OMSA, mais certains fabricants les ont développés. Ces derniers peuvent être privilégiés dans les pays indemnes de DNC lorsqu’il existe un risque d’introduction de la DNC en provenance des pays voisins. Les vaccins inactivés confèrent une immunité plus courte que les vaccins vivants atténués. Par conséquent, les vaccinations initiales comprennent deux injections espacées d’un mois, suivies d’une revaccination tous les six mois pour maintenir l’immunité. Pour le contrôle qualité des vaccins, l’OMSA peut faciliter la prise de contact avec les laboratoires de référence en Afrique du Sud et au Royaume-Uni, ainsi qu’avec un centre collaborateur en Belgique (Validation, évaluation et contrôle qualité des tests diagnostiques et des vaccins contre les maladies vésiculaires en Europe). Une des questions soulevées par la vaccination concerne la distinction entre animaux vaccinés et animaux infectés, les deux groupes affichant des anticorps anti-virus DNC. Des tests PCR pouvant distinguer les deux groupes sont à disposition. Ils ont noms tests PCR-DIVA ( pour Differentiating Infected from Vaccinated Animals).

En Suisse.

Un communiqué de presse a été publié le 18 juillet 2025 par l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) concernant les dispositions à prendre pour lutter contre la DNC, pour laquelle à ce jour aucun cas n’a été reporté. Ce communiqué annonce qu’une zone de surveillance qui englobe le canton de Genève et la région limitrophe de Terre Sainte dans le canton de Vaud est promulguée. Dans cette zone la vaccination est obligatoire pour tous les bovins, buffles et bisons. Comme aucun vaccin contre la DNC n’est autorisé en Suisse, décision a été prise d’autoriser l’importation et l’utilisation des vaccins qui se sont avérés efficaces pour lutter contre des foyers de DNC en Europe(???). Cette mesure « vise à créer une zone tampon et à empêcher autant que possible que cette maladie hautement contagieuse ne se propage en Suisse ». « L’OSAV a également fixé des restrictions concernant le trafic des animaux et des marchandises dans la zone de surveillance, fondées sur la législation sur les épizooties.

Les recommandations visant à protéger le plus possible les animaux contre les piqûres d’insectes et en particulier à respecter les mesures de biosécurité restent de mise. Les détenteurs d’animaux sont tenus d’annoncer immédiatement tout cas suspect au vétérinaire de l’exploitation. »https://www.woah.org/fr/maladie/dermatose-nodulaire-contagieuse/

Affaire à suivre donc.

NB. La réalisation de cet article s’est appuyée essentiellement sur un article de revue de 2023 de:

Mahfuza Akther, Syeda Hasina Akter, Subir Sarker , Joshua W. Aleri , Henry Annandale, Sam Abraham  and Jasim M. Uddin. 2023. Global Burden of Lumpy Skin Disease, Outbreaks, and Future Challenges. Viruses 15(9), 1861. https://doi.org/ 10.3390/v15091861.

Publié le 01/08/2025

Opérations de génétique inverse en virologie

En gros. La génétique appliquée part généralement d’un caractère particulier d’un organisme vivant pour remonter à l’identification d’un ou de plusieurs gènes potentiellement responsables de cette caractéristique. L’opération de génétique inverse consiste à exprimer/réprimer ou modifier un ou des gènes pour analyser ou confirmer son rôle dans le caractère particulier. La génétique inverse nécessite l’accès physique au matériel génétique de l’organisme, son génome. Si dans le cas des dinosaures, l’accès au génome ainsi que l’environnement dans lequel les gènes sont exprimés posent quelques problèmes, l’opération pour les virus est plus simple. Le nombre de gènes est restreint (moins d’une dizaine à une centaine), et l’infection de cellules en cultures est suffisante pour les exprimer et estimer leur rôle.

La génétique inverse est ainsi une méthode puissante pour identifier sans faille le gène responsable d’un caractère dit monogénique (qui ne dépend que d’un seul gène). Elle s’applique également pour les traits polygéniques, même si, dans ce cas, les opérations de vérification sont plus complexes. En plus de ces opérations de vérification, elle permet de modifier le génome d’un virus, lui conférant ainsi une nouvelle propriété. Cette nouvelle propriété peut advenir d’un retrait (délétion), d’un ajout (insertion) ou d’une modification (mutation) d’un gène.

L’ADN est le support physique de l’information génétique de tous les organismes vivants (cf. Pré-Requis). L’ARN intervient dans ce cadre comme le moyen de transférer l’information contenue dans l’ADN à la machinerie qui synthétise les protéines. On parle d’ARN messager, ARNm. Dans le cas des virus, s’il existe, des virus dont le génome est fait d’ADN (virus à ADN), il existe également des virus dont le génome est composé d’ARN (virus à ARN). Pour ces derniers, on en distingue différentes catégories. L’ARN peut directement contenir l’information nécessaire à la synthèse des protéines, on parle de virus à ARN de sens positif {ARN(+)}. L’ARN peut être complémentaire à l’ARN contenant l’information, ce sont des virus à ARN de sens négatif {ARN(-)}. Une troisième catégorie concerne des virus à ARN double brin dont le génome est composé des deux brins d’ARN complémentaires {ARN(+)/ARN(-)}. Pour la dernière catégorie, celle des rétrovirus, le génome est composé d’ARN de sens positif, mais cet ARN (+) ne sert de messager qu’après avoir été converti en ADN duquel il est finalement produit.

L’ADN peut être « bricolé”. Dès les années 1950, la biologie moléculaire a développé des outils qui permettent de travailler l’ADN. Deux opérations essentielles deviennent possibles : la lecture de la séquence des quatre éléments qui le constituent (A,T,G,C) et l’identification de ciseaux (enzymes de restriction) qui coupent l’ADN à des endroits très précis formés par une séquence de quelques lettres. Par exemple, l’enzyme de restriction BamH1 coupe à GGATCC et l’enzyme Xho1 à CTCGAG etc. La multiplication de ces enzymes a permis ainsi de fractionner l’ADN en petits morceaux qui pouvaient ensuite être recollés pour générer un ADN auquel un morceau avait été retiré ou ajouté, une opération que l’on a appelé un clonage. Durant les dernières décennies du XXème siècle, l’habileté à inventer des stratégies de clonage a représenté une qualité hautement appréciée. De nos jours, ce type de clonage a quasiment disparu car des synthétiseurs d’ADN mettent à disposition des chercheurs les molécules d’ADN contenant les séquences d’information voulue. De plus, des ciseaux hautement performants pouvant être dirigés vers des séquences d’ADN ciblées (Crispr-Cas9), ouvrent des possibilités de modification illimitées, non seulement au niveau des génomes viraux mais également des génomes d’organismes supérieurs, y compris l’humain.

L’ARN n’est pas “bricolable« . L’ARN est une molécule extrêmement fragile, pour laquelle l’évolution n’a pas sélectionné d’outils pour la modifier. De plus, il n’existe toujours pas de synthétiseur d’ARN. L’évolution n’a clairement pas envisagé qu’un jour des chercheurs aimeraient aussi bricoler les génomes viraux à ARN. Pour le faire, le génome à ARN doit, en laboratoire, être copié en ADN. Ceci est possible grâce à une enzyme purifiée des cellules infectées par un rétrovirus (rétro-transcriptase). Une fois sous cette forme, les outils pour le transformer sont ceux qui s’appliquent à l’ADN. Reste au final, la production de l’ARN modifié à partir de l’ADN modifié. Et cela se fait grâce à des outils biologiques existants, des ARN polymérases dépendantes de l’ADN. Ces enzymes, semblables à celles produisant les ARNm, peuvent simplement être achetées sur le marché des enzymes.

Côté pratique : génétique inverse pour virus à ADN. Partant d’une préparation virale, généralement obtenue par culture du virus en laboratoire, quoiqu’un échantillon venant d’un organisme infecté puisse suffire, la séquence de l’information génétique est obtenue grâce à un « séquenceur », un appareil conçu pour lire la suite des 4 lettres qui la constitue. Une fois la séquence d’information connue, le synthétiseur d’ADN peut être programmé et un génome fait d’ADN peut être produit. A cette étape, des modifications peuvent être faites (cf. Figure 1). Ce génome est ensuite introduit dans les cellules en culture, une opération nommée « transfection », où l’ADN est enrobé dans une coque de graisse qui permet de franchir les barrières cellulaires. L’ADN ainsi introduit doit atteindre le noyau où il va être transcrit en ARN messagers viraux, comme lors d’une infection, et la production de virus modifiés est enclenchée.

Ainsi décrite, l’opération semble toute simple. Pourtant, ce n’est pas forcément le cas. Lors d’une infection virale, le virus entre dans la cellule avec son génome certes, mais avec d’autres protéines virales qui vont maximiser l’opération. Exemple : un ADN qui se ballade hors du noyau de la cellule est un signal d’effroi qui enclenche une réaction cellulaire de défense qui passe ultimement par un suicide cellulaire. Dans une infection naturelle, le génome viral est accompagné, caché, par des protéines virales jusqu’à être injecté dans le noyau cellulaire, sans avoir été détecté hors du noyau. De fait, la génétique inverse pour des virus à ADN n’est limitée que par la nécessité d’envoyer l’ADN modifié en laboratoire dans le noyau. L’opération n’est pas forcément très efficace, mais elle repose sur la puissance d’amplification d’une seule réussite sur plusieurs millions d’échecs. Il suffit d’une cellule où la production virale est réussie pour que les milliers de virus produits infectent à terme la culture et produisent les milliards de virus attendus.

 

 

 

Figure 1. L’ADN viral est purifié et sa séquence obtenue. L’ADN est ensuite produit avec les modifications voulues. L’ADN modifié est introduit dans les cellules pour générer des virus portant les modifications voulues.

Côté pratique : génétique inverse pour les virus à ARN. Comme indiqué ci-dessus, les virus à ARN viennent en différentes catégories. Commençons par la catégorie la plus simple, celle des virus à ARN de sens positif {ARN(+)}. Ici le génome viral représente l’ARNm. Il suffit donc pour produire un virus d’introduire (transfection) dans les cellules un exemplaire de ce génome pour que le virus soit produit. Sauf que, l’idée ici est de pouvoir modifier ce génome pour produire une version modifiée du virus. Pour cela, il faut produire une version ADN du génome. Pour ce faire, une enzyme virale provenant d’un rétrovirus (rétro-transcriptase), et disponible sur le marché, effectue une rétro-transcription, c’est à dire une copie ADN du génome ARN. La version ADN peut maintenant être modifiée à l’envi. De cette version ADN modifiée, une version ARN modifiée est produite par transcription cette fois (une opération faite par une enzyme disponible sur le marché, la T7 polymérase) et est introduite par transfection dans les cellules, actionnant la production du virus modifié. Dans les faits, plutôt qu’introduire l’ARN viral par transfection, c’est la version ADN qui est introduite dans des cellules elles-mêmes modifiées pour exprimer la T7 polymérase. La production de ce type de cellules a été une avancée majeure dans le champ de la génétique inverse des virus à ARN. C’est le chercheur allemand Karl-KlausConzelmann qui a réussi cet exploit. Il a mis gratuitement à disposition de la communauté virologique la lignée cellulaire BSR T7, exprimant la polymérase T7.

Pour les virus à ARN de sens négatif {ARN(-)}, le génome est le complément des ARNm. De plus, ce génome, est étroitement associé à une des protéines virales (NP), sous forme de nucléocapside, une nucléocapside qui constitue le génome actif du virus. L’ARN viral est ici produit, à partir d’une version ADN comme ci-dessus, dans le contexte des nombreuses NP, dont il va falloir également introduire le gène. Finalement, lorsque l’ARN viral est entouré de NP, l’enzyme virale qui lit la nucléocapside (une ARN polymérase virale) pour produire les mARN doit également être introduite. C’est donc une transfection à trois éléments qui est nécessaire pour enclencher la production du virus.

Les virus dont le génome est composé d’ARN double brin (dbARN), ont la particularité de voir ce génome composé de plusieurs segments (10 ou plus). Au final, une transfection de fragments d’ADN contenant une version fidèle de chaque segment et de son complément ont permis d’obtenir avec efficacité des virus. Ici, il s’agit donc d’une opération à deux dizaines (ou plus) d’éléments.

Pour les rétrovirus, dont le génome est bien une molécule d’ARN de sens positif, le processus naturel d’infection commence par la production à partir de cette molécule d’ARN d’une version ADN double brin de ce génome (provirus). Le provirus se voit obligatoirement intégré dans le génome de la cellule infectée. De cette forme intégrée, les ARNm du virus ainsi que le génome ARN sont produits. L’opération de génétique inverse consiste dans ce cas en l’introduction d’une version ADN du génome viral, sous une forme qui va permettre aux fonctions cellulaires de produire les ARNm du virus et l’ARN génomique qui sera intégré dans les particules virales.

 

 

 

 

Figure 2. La modification d’un génome à ARN, passe par une version ADN de ce génome, qui lui peut subir les modifications. Ces génomes ADN modifiés peuvent ensuite servir à la synthèse de leurs versions ARN, qui introduites dans les cellules vont permettre de produire les virus modifiés (cf. texte).

En guise de conclusionIl est ainsi possible de nos jours d’appliquer les techniques de génétique inverse à la majorité des virus connus à ce jour. Comme indiqué en introduction, ces techniques permettent d’identifier de manière très efficace les fonctions des protéines virales, en observant l’effet de leur suppression ou de leur modification. Elles permettent la production de virus avec des propriétés nouvelles. Il n’est que de citer la production de virus dont la virulence est atténuée, utilisés en guise de vaccin. Vaccins contre le virus homologue sauvage ou vaccin contre un autre virus dont une ou des protéines auraient été intégrées et présentées par le virus atténué. Le virus restant un champion de l’introduction de gènes dans les cellules, il peut être utilisé en thérapie génique en introduisant efficacement le gène déficient ou manquant qu’il faut remplacer. Le virus restant un destructeur efficace des cellules infectées, il peut être ciblé par adjonction d’une protéine exprimée par des cellules cancéreuses et devenir un tueur efficace des cellules ciblées, on parle ici de virus oncolytiques. Ainsi vaccinologie, thérapie génique et destruction ciblée de cellules cancéreuses sont des domaine ouverts à la réalisation de solutions par la génétique inverse des virus.

Publié le 29 juillet 2025

Le virus de la langue bleue

La langue bleue (bluetongue en anglais) est une maladie virale qui touche les ruminants domestiques (moutons, chèvres, bovins) ou sauvages. Le virus responsable de cette maladie, le Bluetongue virus (BTV), appartient à la famille des Reoviridae, genre Orbivirus.

Le virus.

Les Reoviridae sont des virus non enveloppés, c’est à dire que leur délimitation n’est pas constituée d’une enveloppe bi-lipidique (graisseuse) qui les rend sensibles aux détergents comme les virus de la grippe ou le SARS CoV 2. Leur couche externe est formée d’une solide coque de protéines organisée en 3 couches (cf. figure ) qui rendent les virus très résistants dans l’environnement extracellulaire. La couche externe, composée de deux protéines VP2 et VP5, est celle qui entre en contact avec la cellule à infecter en se liant à une protéine cellulaire, le récepteur, qui n’est pas encore identifié avec certitude. La couche intermédiaire fait le lien entre la couche externe et la couche interne qui rassemble les composants viraux au moment de la formation des nouvelles particules virales. A l’intérieur de la particule, se trouvent empaquetées les enzymes nécessaires à la réplication du génome viral composé de 10 segments d’ARN et à la synthèse des ARN messagers viraux. Le génome est composé d’ARN, mais il se distingue d’autres virus à ARN (par ex. SARS CoV2, virus de la rougeole, virus de la poliomyélite) par le fait que cet ARN est double brin (ARN db). De plus ce génome est fractionné en dix segments. La nature du génome de BTV, ARN double brin en dix segments, a des conséquences sur son cycle de multiplication et sur les capacités d’évolution du virus. Notamment si deux virus légèrement différents infectent une même cellule, la répartition des segments lors de l’assemblage des nouveaux virus peut donner lieu à un réassortiment menant à la production d’un nouveau virus qui a incorporé des segments de l’un et de l’autre virus infectant. Ce phénomène de réassortiment est bien connu pour les virus de la grippe dont le génome d’ARN simple brin est fractionné en 7-8 segments. Les nouveaux virus humains issus des virus aviaires ont tous profité de ce phénomène dans leur évolution. Pour les BTV l’étendue du réassortiment n’a pas encore été étudiée, mais le fait que l’on connaisse à ce jour plus d’une 25 sérotypes différents permet de penser qu’il joue un rôle similaire à celui des virus grippaux.

L’infection

Le virus se transmet par des moucherons (Culicoides). Les insectes qui se nourrissent de sang d’un animal infecté transmettent à leur tour le virus en se nourrissant sur un congénère sain. Le virus peut également se multiplier dans le moucheron, augmentant ainsi la quantité de virus transmis. Les signes cliniques correspondent à ceux généralement observés lors de développement de fièvres hémorragiques (hémorragie, fuite vasculaire, œdème..) avec plus ou moins de gravité selon les types de virus et la nature des hôtes infectés. Le virus peut traverser la barrière placentaire et provoquer des avortements ou des malformations congénitales. La langue gonflée et cyanosée, donnant le nom au virus, est un symptôme qui, pour être spectaculaire, n’est pas très fréquent. Les moutons sont les plus affectés. Chez les bovins l’infection passe souvent inaperçue cliniquement. En fait la gravité de l’infection, pouvant être mortelle à large échelle, dépend du sérotype*de virus ainsi que de l’espèce de moucherons qui le véhicule.

Le changement climatique a vraisemblablement altéré les périodes d’activité des moucherons ainsi que la taille de leur population. Les espèces de moucherons présents dans l’Europe du nord et l’Europe centrale, différentes de l’espèce Africaine, se sont révélées des vecteurs efficaces, à l’encontre de ce qui avait été pressenti. Les infections associées aux chèvres récemment découvertes, impliquant notamment le sérotype 25 en Europe centrale, semblent avoir des propriétés biologiques distinctes et une épidémiologie qui ne dépend pas des moucherons Culicoides comme vecteurs de transmission du virus. Les épidémies de langue bleue peuvent avoir des conséquences graves pour l’agriculture, affectant la santé des animaux, leur productivité, baisse de production de lait, reproduction diminuée et altérée, et la qualité des produits (lait, viande). Certaines formes de la maladie peuvent provoquer des pertes massives de bétail. L’impact économique peut être lourd, en particulier dans les régions où l’élevage constitue une part importante de l’économie.

Transmission à l’homme

A ce jour, la transmission de la maladie à l’homme ne fait l’objet d’aucune publication. Des études pour savoir si les personnes en contact avec des animaux infectés auraient développé des anticorps témoignant d’une infection asymptomatique font également défaut dans la littérature spécialisée. Ainsi, à ce stade les virus BTV ne posent pas de problème de santé chez l’humain.

Historique

La première description clinique de la langue bleue a été faite en Afrique du Sud en 1905, où des animaux ont montré des signes caractéristiques de la maladie. L’agent causal a été défini comme un virus lorsque la maladie a pu être transmise par un filtrat retenant bactéries et levures. Le virus a été isolé pour la première fois en 1940. Entre 1950 et 1960, des épidémies importantes ont été signalées en Afrique, au Moyen-Orient et en Asie, affectant gravement les troupeaux de moutons. Dès les années 1990, le virus se propage vers de nouvelles zones, notamment en Europe, où il cause des épidémies sévères chez les animaux domestiques. Dans le même temps plus de 25 sérotypes distincts sont identifiés. Pour mémoire un sérotype correspond à un type de virus qui provoque après infection la montée d’anticorps spécifiques capables de se lier au virus et d’empêcher son infection. Les sérotypes diffèrent donc par la propriété de se lier à des anticorps différents. Un animal immunisé contre un sérotype restera ainsi sensible à l’infection par un sérotype différent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dès les années 2000 le BTV se répand en Europe à partir de la péninsule ibérique. La situation en Suisse en depuis août 2024 montre la circulation des deux sérotypes BTV-8 et BTV3. La propagation du virus a été fortement influencée par les conditions climatiques. Les épisodes de chaleur et d’humidité favorisent la multiplication des Culicoides, facilitant ainsi la propagation du virus dans de nouvelles régions.

Les vaccins (cf. voir pour la généralité  La vaccination)

De manière étonnante, le BTV a fait l’objet d’une recherche foisonnante aboutissant à la préparation de différents types de vaccins. Des vaccins atténués, des vaccins inactivés, des vaccins basés sur le génie génétique de différentes sortes. La question qui sous-tend l’utilisation de ces différents vaccins reste celle de pouvoir distinguer un animal vacciné d’un animal infecté asymptomatique. Les deux présentent des anticorps anti-BTV, mais le premier ne présente aucun danger pour la propagation du virus alors que le second peut constituer le repas d’un moucheron qui, après avoir amplifié la masse virale, le propage dans le troupeau. C’est une raison pour laquelle la vaccination n’est pas toujours vue comme la solution immédiate dans la lutte contre l’infection virale. Les mesures de luttes passent aussi par le contrôle des vecteurs visant à réduire la population des moucherons (répulsifs) et une surveillance conduisant à des quarantaines sévères et rapides.

Vaccins vivants atténués. Les virus, souvent plusieurs sérotypes présents dans une zone endémique, sont cultivés en série dans des œufs embryonnés de poulet. Une fois la souche vaccinale obtenue, sa préparation est relativement bon marché. Ces vaccins induisent une immunité de longue durée et généralement peu ou pas d’effets secondaires indésirables, à l’exception du sérotype BTV 16. Pourtant chez les ovins, des réactions plus marquées peuvent êtres observées : lésions au site d’injection, diminution de production de lait, avortements. Les virus atténués sont détectés dans le sang des animaux vaccinés pendant plus de 70 jours. Ils peuvent être détectés dans des moucherons qui peuvent les transmettre. Cette survie peut participer à la vaccination du troupeau, mais également favoriser des réversions des virus atténués à l’état sauvage.

Vaccins inactivés. Les virus, inactvés par traitement chimique ne sont disponibles que pour un nombre restreint de sérotypes. Ces vaccins induisent une immunité de plus courte durée ce qui nécessite l’injection d’une seconde dose (booster).

L’utilisation de ces deux types de vaccins ne sont pas compatibles avec la discrimination entre animaux infectés et animaux vaccinés. En conséquence, elle ne permet pas la levée des restrictions de transport des animaux.

Vaccins sous-unités. Dans ce cas, une ou quelques protéines virales, purifiées ou produites par génie génétique sous utilisées, enrobées dans une capsule graisseuse. Le choix des protéines virales est ici primordial. Il s’agit avant tout de protéines qui composent la coque protectrice du virus (VP2, VP5, VP3 et VP7). Des cocktails de protéines de sérotypes différents peuvent être concoctés, ceci en fonction des différents virus qui circulent dans un environnement donné.

Vaccins issus de la génétique inverse. La génétique inverse est un processus de laboratoire qui permet de produire un virus à partir de son génome, obtenu par synthèse chimique suivant la séquence connue de son acide nucléique. Un tel procédé est ouvert à la modification du génome de sorte que le virus produit affiche bien sa carte d’identité nécessaire à promouvoir une réponse immune, sans pour autant que le virus puisse se multiplier. Dans le cas de BTV le virus produit est déficient pour l’enzyme responsable de la réplication du génome (omission d’un des dix segments du génome) de sorte que ce virus ne peut pas se répandre dans l’hôte infecté. Ce vaccin est lui-même produit en laboratoire sur des cellules auxquelles a été ajoutée la propriété de produire l’enzyme virale manquante. Un tel virus est qualifié d’ECRA pour « Entrée Compétent Réplication Abortif ». Avec cette approche, les segments du génome responsables pour la synthèse des protéines de la coque peuvent être adaptés aux sérotypes circulant dans une région. Des versions de virus avec une virulence diminuée, en omettant par exemple un segment impliqué dans la virulence (VP3), peuvent servir de vaccins atténués. Ces vaccins ne sont pas forcément disponibles sur le marché, car encore à l’étude. Nul doute qu’ils vont servir de ballons d’essai pour des vaccins contre des pathogènes humains. Un exemple de vaccin issu de la génétique inverse chez l’humain est présenté dans le chapitre qui traite du vaccin contre le virus Ebola.

En Suisse, trois vaccins (inactivés) contre le BTV-3 sont commercialisés actuellement (voir ci-après), mais aucun d’entre eux n’est pour l’heure homologué en Suisse ni dans l’UE. Un document publié le 24 janvier 2025 est disponible sur le site de l’OSAV qui traite en détail de ce sujet.

 

 

Histoire extraordinaire: un virus essentiel à la production de Vitamine B12.

En guise d’introduction.

« La vitamine B12 (cobalamines), avec le folate, est nécessaire à la formation et à la maturation des globules rouges ainsi qu’à la synthèse de l’ADN (acide désoxyribonucléique), qui est le matériel génétique des cellules. La vitamine B12 est également nécessaire à la fonction nerveuse. Les bonnes sources de vitamine B12 incluent les viandes (essentiellement bœuf, porc, foie et autres abats), les œufs, les céréales enrichies, le lait, les palourdes, les huîtres, le saumon et le thon. »*

La vitamine B12 est un cofacteur essentiel de différentes enzymes. Sa carence provoque, entre autres, un dysfonctionnement de la formation du sang dans la moelle osseuse ainsi que de sévères modifications dans le système nerveux. Dans les pays industrialisés occidentaux, l’anémie pernicieuse est la maladie liée à une carence vitaminique la plus répandue et exige une thérapie. Ceci peut être dû non seulement à une consommation trop faible de vitamine B12, mais aussi à une réduction de l’absorption de la vitamine B12 au niveau de l’intestin.**

Seuls quelques microorganismes (bactéries) sont capables de synthétiser la vitamine B12. L’homme, qui selon toute vraisemblance, ne possède pas dans sa faune intestinale les bactéries nécessaires à sa production, est donc tributaire d’un apport exogène régulier de cette vitamine et les aliments d’origine animale sont les seules sources dont la teneur est considérable. La synthèse bactérienne de la vitamine B12 a lieu dans la panse et l’intestin des animaux. Sa faible présence dans les aliments d’origine végétale (produits végétaux fermentés, par ex. choucroute, bière) entraîne en cas de diète purement végétale (végétalien) une couverture insuffisante des besoins en Vitamine B12.

Production naturelle de vitamine B12

Comme évoqué ci-dessus, la synthèse de Vitamine B12 a lieu dans un nombre limité de bactéries, alors qu’elle est essentielle pour la plupart des bactéries marines et des organismes des trois grands règnes du monde vivant : les animaux, les champignons et les plantes. Dans une publication récente parue dans Nature*** en mai dernier, une panoplie de chercheurs, décortique sa production dans des bactéries marines. Au pluriel, car il faut la collaboration de deux espèces de bactéries pour le faire, répondant au doux noms de Colwellia  et Roseovarius. Les deux espèces de bactéries sont auxotrophes pour la Vitamine B12, c’est-à-dire qu’elles sont dépendantes de la B12 pour leur croissance, mais qu’elles ne peuvent pas la produire individuellement. C’est donc une histoire de collaboration qui va suivre. Et le virus alors, que vient-il faire dans cette affaire. Patience, patience…

 

 

 

 

 

 

 

La figure 1, résume le processus de synthèse de la vitamine B12. Un anneau de corrinoid (appelé A), modifié en Af après adjonction de cobalt et un ligand a-ribazole (appelé B), qui doit être activé par l’adjonction d’une queue ( Ba) sont assemblés pour produire le vitamine B12. Ces processus biochimiques nécessitent la présence d’enzymes appropriées et de canaux de passage des molécules. La présence ou l’absence dans le génome bactérien des gènes permettant la production de ces éléments a permis de déduire si les bactéries étaient compétentes ou non pour la synthèse des deux composants. Les figure 2a et 2b résument les conclusions de cette étude.

 

 

 

 

 

 

La figure 2a montre que Colwellia peut synthétiser A, mais ne peut pas la convertir en Af. Pour Ba, tout se passe normalement. Ainsi, en l’absence de Af,  Colwellia ne produit pas la vitamine B12. Il faut noter que même sans cette capacité, Colwellia arbore dans sa paroi un canal qui permet le passage de la vitamine B12 qui viendrait de l’extérieur (double flèche bleue).  Grâce à un canal d’une autre  spécificité (double flèche rouge) elle peut transférer Ba à Roseovarius, qui de son côté ne peut pas la produire. En revanche, Roseovarius produit Af, et de ce fait, avec l’aide de Ba venant de  Colwellia, elle produit de la vitamine B12. Il faut noter ici que Roseovarius arbore en plus le génome d’un bactériophage qui reste dormant. Tout va bien pour Roseovarius, mais cela n’arrange pas les affaires de Colwellia, car Roseovarius ne possède pas de canal qui pourrait excréter la vitamine B12, comme Colwellia le fait pour Ba.

 

 

 

 

 

 

Figure 2b. C’est à ce point qu’intervient le virus, virus de bactérie, appelé bactériophage. D’une manière encore mal comprise, la proximité de Colwellia réveille dans Roseovarius le génome dormant d’un bactériophage du nom de ICBM 167 (petits points dentelés verts). Ce réveil aboutit à la production de bactériophages qui font ce que les bactériophages savent faire, détruire les parois bactériennes aboutissant à terme à la destruction des bactéries (traits tirés sur la paroi de Roseovarius). Se faisant les molécules de vitamine B12 produites par Roseovarius sont relâchées dans le milieu ambiant et peuvent ainsi être captées par Colwellia. Au final, la disponibilité de la vitamine B12, nécessaire à la croissance des deux espèces de bactéries, passe non seulement par leur collaboration, mais également par la destruction de l’un des deux partenaires. Il devient évident qu’il doit y avoir un mécanisme de régulation qui prévient la destruction totale de la population des Roseovarius, qui amènerait à terme, celle des Colwellia. Collaboration, attention à l’autre, bactériophages à l’action retenue, le monde des microorganismes aurait-il des leçons à donner aux humains ? D’autant que leur durée de vie sur cette planète excède de plusieurs milliards d’années les quelques secondes allouées jusqu’ici à l’humanité. Quant aux virus, ils sont là depuis aussi longtemps que les bactéries. S’ils sont arrivés jusqu’à nous, c’est qu’ils ont eu leur utilité pendant tout ce temps.

*https://www.msdmanuals.com/fr/accueil/troubles-de-la-nutrition/vitamines/carence-en-vitamine-b12

**https://www.agroscope.admin.ch/agroscope/fr/home/themes/denrees-alimentaires/alimentation-sante/viande-produits-carnes/vitamines/vitamine-b12.html

***Gerrit Wienhausen et al. 2024. Ligand cross-feeding resolves bacterial vitamin B12 auxotrophies. Nature 629: 886.

****Thème inspiré par la curiosité de Dominique Garcin.

A voir également:

 

La grippe aviaire nous pend-elle au nez ?

Les virus de la grippe aviaire infectent et circulent exclusivement dans le monde aviaire. Les virus de la grippe humaine infectent les humains et se propagent exclusivement entre humains. Ces caractéristiques servent à définir les virus. Ces affirmations péremptoires souffrent bien sûr d’exceptions.

Pour rester dans les généralités, ces exclusions réciproques reposent essentiellement, mais pas uniquement, sur la reconnaissance par les virus humains et aviaires de récepteurs différents auxquels les virus doivent se lier pour faire leur infection. On parle ici comme récepteur d’un résidu sucré, l’acide sialique, lié à une protéine cellulaire et présenté aux virus humains ou aviaires dans une configuration différente. Si l’acide sialique est la serrure dans laquelle le virus insère la clef  qui lui permet d’ouvrir la porte d’entrée dans la cellule, cette même serrure est orientée différemment sur les cellules humaines et les cellules aviaires, générant la différence de spécificité d’espèces. Pour simplifier la suite, appelons l’acide sialique récepteur dans sa conformation aviaire et humaine, respectivement AsA et AsH.

Les virus aviaires font généralement une infection du tube digestif et sont produits dans les fientes. C’est l’exposition aux fientes qui permet leur transmission. Les eaux contaminées constituent un moyen de transmission efficace, d’autant que les virus aviaires y survivent plusieurs semaines. Les virus humains infectent les voies respiratoires supérieures et se transmettent par gouttelettes et aérosols. Ce sont donc les cellules des muqueuses intestinales des oiseaux et les cellules des muqueuses respiratoires supérieures humaines qui sont la cible des virus infectants. Sans surprise, les cellules intestinales des oiseaux exposent à leur surface AsA et les cellules des voies respiratoires supérieures humaines AsH.

Jusqu’ici c’est assez simple, trop simple. Introduisons donc un peu de complexité. D’abord la spécificité apportée par AsA et AsH ne constitue pas l’unique critère de distinction entre les virus aviaires et humains. Par exemple, la température de tube gastrique des oiseaux est à 39°C et celle des voies respiratoires humaines à 33°C. Les cellules une fois infectées peuvent ainsi représenter des environnements plus ou moins propices à la multiplication virale. Ensuite, si AsH se retrouve presque exclusivement à la surface des cellules des voies respiratoires supérieures humaines, le récepteur aviaire AsA se retrouve également en minorité sur les cellules des voies respiratoires plus profondes. Enfin, un animal, proche de l’homme sous bien des aspects, le porc, affiche sur les cellules de ses voies respiratoires supérieures AsH et AsA. Ainsi, un virus aviaire qui aurait infecté une cellule humaine peut ne pas se multiplier aussi efficacement qu’il ne ferait dans une cellule aviaire, il lui faut un temps d’adaptation pour atteindre le niveau de multiplication et de transmission d’un virus humain.  Ensuite, un virus aviaire qui atteindrait les cellules des voies respiratoires humaines profondes y trouverait un récepteur AsA, ce qui permet l’infection humaine par un virus aviaire, d’où les cas d’infection humaines par des virus aviaires. Enfin, un virus aviaire pure souche trouve moyen d’infecter les voies respiratoires ou les muqueuses intestinales du porc, qui peut jouer un rôle clé dans l’adaptation d’un virus aviaire à l’homme.

Les virus de la grippe humaine qui se sont succédés depuis que l’on a été en mesure de les identifier, à savoir depuis la pandémie de H1N1 de 1918, ont tous eu comme origine des virus aviaires (cf. Viropourtous, https://viropourtous.ch/pandemies-de-grippe-saison-iii-les-pandemies-et-leur-virus/). Ces virus ont tous évolué pour, au minimum, acquérir la capacité à lier le récepteur AsH. Ce processus d’évolution est chez le porc plus facilement envisageable, car le passage du AsA au AsH peut se faire progressivement, avec des aller et retour même, puisque les virus en évolution conservent leur capacité d’infection, ayant à disposition les deux récepteurs. Le processus dans le monde aviaire est plus périlleux. En effet un virus aviaire qui aurait évolué vers une liaison au AsH perd sa capacité à infecter des cellules aviaires, et disparait. Il ne dépendrait pour survivre que de la rencontre opportune avec un humain ou un porc. La fréquence de rencontre avec l’humain est ainsi primordiale pour la survie d’un tel virus. On comprend que plus le virus aviaire « tourne » autour de la population humaine, et plus la probabilité qu’un mutant humain émerge de la population des virus aviaires est grande.

En 1966 un virus hautement pathogène pour les volailles a été identifié dans le sud de la Chine et caractérisé comme un virus de type A H5N1 (cf. Pour la nomenclature, voir : https://viropourtous.ch/virus-h1n1-h3n2-h5n8-etc-des-chiffres-et-des-lettres/). En 1997 ce virus se répand sur les marchés de Hong-Kong et nécessite pour le contrôler l’abattage de toutes les volailles. Il provoque l’infection de 18 humains, dont 6 vont décéder. Après cet éclat, le virus, pour un temps, n’est plus régulièrement détecté. De 2003 à 2005 pourtant, il réapparait en Chine et provoque des épidémies dans des élevages de volaille. En 2005, vraisemblablement transporté par des oiseaux sauvages, il fait son apparition en Afrique, au Moyen-Orient et en Europe. Dès lors sous haute surveillance, le virus apparait de 2014-2016 sous des formes variées de H5N6 et H5N8 causant des épidémies en Asie, Europe, Moyen Orient et Amérique du Nord. DE 2021-2023, H5N1 réapparait de façon prédominante en Asie, Afrique, Europe et Moyen Orient. Il fait également son apparition au Canada et aux États-Unis. En date du début 2023, de nouveaux épisodes de H5N1 s’élèvent à 17 en Amérique, 5 en Asie et 15 en Europe. De fait entre 2005 et 2020, 246 millions de volailles sont mortes ou ont été abattues en raison de la grippe aviaire. Dans le même temps H5N1 est responsable de plus de 860 infections humaines avec une mortalité de plus de 50%. Il n’y a pourtant pas de démonstration convaincante de transmission efficace d’humain à humain, même si, dans quelques cas, comme récemment au Cambodge, une jeune fille infectée et décédée a été entourée par sa mère, également décédée et sa tante infectée mais survivante. Pour l’instant, le sentiment persiste que le virus aviaire H5N1 n’a pas franchi la barrière d’espèce et reste un virus aviaire.

Expérimentalement, il a été montré par deux études** dont l’utilité a été très controversée, que quelque 5 à 6 mutations sont suffisantes pour permettre au virus H5N1 d’acquérir la propriété de se transmettre par aérosol entre furets, des animaux qui représentent depuis longtemps un modèle d’infection pour les virus humains.

Quoiqu’il en soit, H5N1 semble augmenter sa présence dans les élevages de volailles et fait ainsi peser une menace non négligeable sur la population humaine. Plus le virus « tourne » autour de la population humaine et plus la probabilité d’un saut d’espèce est élevée. Sommes-nous préparés à affronter une nouvelle pandémie ? Comme le martelait Bob Webster, un éminent spécialiste des virus de la grippe, à la fin du siècle passé déjà en parlant d’une pandémie de grippe  : « La question n’est pas tant de savoir si, mais quand ». Bonne chance à nous tous.tes  !!!

Dernières nouvelles de H5N1 : https://www.cdc.gov/flu/avianflu/communication-resources/bird-flu-origin-infographic.html; https://www.woah.org/app/uploads/2023/02/hpai-situation-report-20230216.pdf

**Imai et al. Experimental adaptation of an influenza H5 HA confers respiratory droplet transmission to a reassortant H5 HA/H1N1 virus in ferrets. Nature 486, 420  (2012)

Herfst et al. Airborne transmission of influenza A/H5N1 virus between ferrets. Science 336, 1534 (2012).

 

 

Le vaccin qui prévient la variole du singe

Pour parler de vaccins contre la variole du singe, il faut en fait décrire les vaccins contre le virus de la variole humaine, car, pour l’instant, seuls ces derniers sont disponibles. Le virus de la variole du singe a été identifié chez l’humain en 1970 à la fin des campagnes de vaccination visant à l’éradication de la variole humaine, décrétée effective en 1980 par l’OMS. Continuer la lecture de Le vaccin qui prévient la variole du singe

Le virus de la variole du singe ou l’orthopoxvirose simienne (sic…)

Historique. La variole du singe est une maladie causée par le virus du même nom. Ce virus a été découvert en 1958 suite à une épidémie survenue chez des singes de laboratoire au Danemark. Le premier cas humain a été décrit en 1970 au Zaïre (actuellement la République Démocratique du Congo, RDC) chez un enfant de neuf mois, lors de l’intense campagne de vaccination visant à l’élimination de la variole humaine. Continuer la lecture de Le virus de la variole du singe ou l’orthopoxvirose simienne (sic…)

Covid 19 : histoire japonaise ou comment le virus a pu creuser sa tombe.

La réflexion qui suit procède de l’observation qu’au Japon, le virus ne circule quasiment plus à l’heure actuelle. On y dénote  moins de 100 nouveaux cas par jour pour 126 millions d’habitants, ce qui fait 0.72 cas/ million. En France, ce chiffre se monte à 472 cas/million. La Suisse fait encore mieux avec 872 cas/million. Comment expliquer cette différence phénoménale, sachant que le taux de vaccination japonais, s’il est supérieur, reste du même ordre (cf. Tableau ci-dessous). Continuer la lecture de Covid 19 : histoire japonaise ou comment le virus a pu creuser sa tombe.

Vaccinons-nous, vaccinons-nous, sinon….

La vaccination protège des formes graves de la Covid 19 chez les personnes à risque. La vaccination empêche la saturation des hôpitaux, permettant par là même la prise en charge de toutes les personnes nécessitant des soins hospitaliers. La vaccination protège tout un chacun (jeunes et moins jeunes) de l’infection par le Sars Cov-2 et de ses effets délétères à moyen et long terme. Continuer la lecture de Vaccinons-nous, vaccinons-nous, sinon….

Des variants et des hommes

Disons d’emblée que, pour un virologue averti, l’émergence des variants fait partie du jeu. Il n’y a, pour s’en convaincre, que de prendre le temps de lire deux ou trois articles de ce blog : La quasi-espèce, une hétérogénéité génétique extrême, Les propriétés de la quasi-espèce, Les virus ont une capacité d’adaptation formidable. Continuer la lecture de Des variants et des hommes