Le masque en question

A l’heure du déconfinement progressif se pose avec de plus en plus d’acuité la question de la nécessité du port du masque par tous ces infectés potentiels et asymptomatiques qui pourraient courir les rues. Curieusement, il n’y a pas consensus, parce que les études faites montrent ou ne montrent pas de bénéfices. En fait, il n’est pas facile de mettre en place des études aux paramètres fiables, lorsque ces derniers ont trait à des comportements. Les masques chirurgicaux seraient utiles pour empêcher qu’une personne infectée contamine son voisin, mais n’apporterait pas de bénéfice au voisin pour empêcher son infection. Les postillons de l’infecté seraient arrêtés par le masque, mais ces mêmes postillons, s’ils ne sont pas arrêtés par le masque de l’infecté, ne serait pas arrêté par le masque du voisin. Facile à suivre, mais bizarre quand même. Compliqué, parce que pleins de facteurs incontrôlés qui entrent en jeu. La pose correcte, la dépose correcte, le temps de pose, la force du souffle de la toux ou de l’éternuement, l’humidité du masque, la viscosité de la sécrétion projetée, la taille des gouttelettes, l’absence d’aérosol (vraiment ?) etc. etc.

Bon, alors nous sommes des scientifiques et nous voudrions aborder la question de manière scientifique, c’est-à-dire en développant un système expérimental simple, le plus simple possible, qui permette de varier différents paramètres et d’en tirer des conclusions quantitatives claires. On ne va pas se demander s’il faut ou ne faut pas porter un masque, non. On va se demander si un masque peut arrêter, et dans quelle mesure, la propagation du virus, d’une source vers un récepteur. Commençons par faire une liste de ce dont nous avons besoin:

  • Une culture de cellules permissives aux virus, c’est à dire dans lesquelles le virus se multiplie en y faisant un dégât visible (cytolytique). Après multiplication, les cellules infectées sont ratiboisées.
  • Une préparation de virus infectieux, dont on connaît la teneur exacte, à savoir il y a tant de particules virales infectieuses par tel volume de préparation.
  • Un postillonneur à buse variable, qui est un appareil à gicler avec une certaine force des postillons, d’une certaine taille, les deux paramètres force et taille, pouvant varier.
  • Un récepteur de postillons, sous la forme d’une petite surface de verre ou de plastic bien lisse, assortie d’un petit récipient dans lequel ce récepteur peut être facilement laver de tout dépôt
  • Toute une série de masques de différentes marques, de différentes formes, avec des performances annoncées différentes et de prix différents.
  • Un statif qui permet de tendre ces masques ou des découpes de ces masques à la verticale, entre le postillonneur et le récepteur.

Les points a. et b. font partie de la panoplie standard d’un laboratoire de recherche en virologie fondamentale. Ce laboratoire est muni d’une salle de sécurité P2 (ou P3) et d’un personnel formé à y travailler en observant les règles de sécurité. Il faudrait juste mettre la main sur du SARS-CoV-2, que, par les temps qui courent, vous pensez pouvoir trouver un peu partout puisqu’il circule librement à la COOP ou la Migros. Pas si sûr. Il a doit être classifié comme un élément dangereux, pour lequel il faut avoir des permissions venant de l’organisme de contrôle à Berne. Le plus simple serait d’être soi-même infecté, de cracher dans une éprouvette et d’en faire une culture de masse (cf. ci-dessous). Mais vous pourriez être pris en défaut. Mieux vaut donc obtenir le virus d’un labo autorisé à vous le transmettre, après voir reçu l’autorisation de l’utiliser. Pour c., le mieux, c’est d’avoir une connaissance à l’EPFL, ingénieur-se de son état, à qui vous expliquez ce que vous voulez- L’expertise est là, et après quelques jours, un postillonneur, à gicleurs variables, vous est amené sur un plateau, avec en contrepartie, l’assurance que l’ingénieur-se ait son nom sur le papier que vous allez publier dans Nature, non sans qu’une demande de brevet ait été préalablement déposée, procédure standard lors de la mise au point d’une innovation promise à succès planétaire. Restent les masques e. qui risquent de vous coûter la majeure partie de votre budget sur le marché noir. Pour f., vous ressortez les pièces d’un vieux mécano de votre grenier, ce qui fera remonter à la surface la nostalgie du temps où l’avenir était devant vous.

Voilà, tout y est. L’expérience peut commencer. Elle sera illustrée par des figures qui aideront à visualiser les étapes successives de la partie dit expérimentale.

  1. Isoler le virus (Fig 1.)   

Impérativement, il faut avoir à disposition une narine infectée dans laquelle vous gratouillez avec un écouvillon. Au pire ça chatouille, et la narine peut expulser avec force des projections contenant du virus. Donc attention, vous devez rester en bonne santé pour réaliser l’expérience qui suit. L’écouvillon est trempé dans un petit tube contenant un liquide (propre à conserver intact tout virus présent, éviter les détergents, les solutions alcooliques etc…), dit « tube………… », de la marque du fabriquant, un tube pratique, car adapté à la centrifugeuse du même nom, fabriqué et vendu par la même firme. La centrifugation envoie au fond du tube les possibles crottes de nez, et le surnageant est transféré dans un nouveau tube, qui contient maintenant en solution le virus prélevé dans la narine. A ce stade, il est difficile de savoir combien de particules virales se trouvent dans cet échantillon. Quelque unes, un millier ? Tout dépend de la productivité de l’infection et du succès de la récolte. Ce n’est pas très important, car dans l’étape suivante, la quantité de ce virus va être amplifiée par culture.

  1. Cultiver le virus (Fig.2)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette culture se déroule par infection de cellules, elles-mêmes cultivées dans des petits récipients appelés boîtes de Pétri (du nom du savant qui les a inventées). Les cellules s’attachent sur le fond de la boîte et s’y multiplient dans un milieu liquide qui contient tous les nutriments nécessaires à leur croissance. Elle se divisent jusqu’à occuper toute la surface, en une fine mono-couche. Une fois toute la surface occupée, les cellules arrêtent leur division, on dit qu’elles sont à confluence. Dans une boîte de Pétri de 10 cm de diamètre à confluence, on trouve de 3-5 millions de cellules. Ces cellules sont d’origines diverses, humaine, bovine, canine, singe, hamster, furet ,et même moustique. Tout laboratoire de virologie qui se respecte en a toute une série qu’il garde dans ses congélateurs, surgelées à -80°C , ou dans de l’azote liquide (-196°C). La variété de ces lignées cellulaires est nécessaire, car les différents virus n’infectent pas tous les mêmes types cellulaires. Il faut donc, avant d’amplifier le virus, connaître un type cellulaire permissif au SARS-CoV-2. Il se trouve que la lignée de cellules de singe Vero est compétente et elle fait partie de votre collection. Si cela n’avait pas été le cas, il vous aurait fallu l’obtenir d’un autre laboratoire ou, au pire, l’acheter auprès d’une grande banque de cellules aux Etats-Unis pour la modique somme de ~700 USD. Pour l’infection, le milieu de culture est retiré, et une fine couche de la solution contenant les virus isolés de la narine est déposée sur le tissu cellulaire. La fine couche de liquide est nécessaire pour favoriser le contact entre les virus et les cellules. Après un temps d’infection de 30-40 minutes, un nouveau milieu de culture est ajouté en plus grande quantité. A ce stade, il faut attendre que toutes les cellules aient été infectées et aient produit du virus. Dans le meilleur des cas, cela se voit sous le microscope. Les cellules infectées changent de forme, ou sont carrément détruites par l’infection. Le milieu de culture est alors récolté et réparti en petits aliquotes qui sont surgelés. Ils représentent la source de virus pour les expériences à suivre. Encore faut-il connaitre la teneur de ces aliquotes en virus.

  1. Titrer la préparation de virus (Fig.3)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il s’agit à cette étape de connaître le nombre de virus infectieux obtenus après la culture de virus faite à l’étape précédente. Sachant que le nombre de cellules infectées dans chaque boîte de Pétri se monte à 5 millions, on s’attend à trouver 10 à 100 fois plus de virus que de cellules infectées dans les 10 millilitres de milieu qui recouvrent les cellules d’une boîte. Pour dénombrer ces virus infectieux, on mise sur le fait que 1 virus infectieux est nécessaire et suffisant pour infecter une cellule. Cette cellule va produire à son tour des virus qui vont être à même d’infecter d’autres cellules. Si on empêche les virus produits de diffuser dans le milieu, ces virus ne pourront infecter que les cellules voisines de la première. Celles-ci vont à leur tour produire des virus qui vont à leur tour infecter les cellules voisines. L’infection se propage ainsi en anneau autour de la première cellule infectée. Lorsque le diamètre de cet anneau est suffisamment grand, il devient visible à l’œil nu, surtout si l’infection détruit les cellules infectées. Dans le tapis cellulaire uniforme, vont apparaitre des plages circulaires de cellules mortes, des plages de lyse. On s’aide dans cette détection de l’utilisation d’un colorant vital qui ne colore en bleu que les cellules vivantes, les plages de lyse ressortent d’autant mieux qu’elles ne prennent pas la coloration. Il suffit au final de compter les plages de lyse pour savoir combien de virus infectieux ont été ajoutés sur le tapis cellulaire d’une boîte de Pétri. Pour finir, deux choses essentielles. D’abord pour empêcher les virus de diffuser dans le milieu, on ajoute à ce dernier un peu de gélatine qui le rend semi-solide. Enfin, il faut infecter les tapis cellulaires avec assez peu de virus infectieux pour pouvoir compter des plages de lyse qui ne se superposent pas ; trop de cellules infectées vont aboutir à trop de plages de lyse qui, fusionnant l’une à l’autre, empêche de les dénombrer. Pour cela, des dilutions successives de la préparation virale sont faites, pour être certain d’atteindre la dilutionn adéquate pour le dénombrement. Avec ces renseignements, la Figure 3 devient self explicative. La préparation virale contient donc 8 millions d’Unité Infectieuses par millilitres (8×106 UI/ml).

  1. Montage expérimental (Fig.4).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le montage est simple, un postillonneur qui envoie des projections calibrées de virus, un masque ou une découpe de masque au-devant d’un récepteur, atteint plus ou moins fortement en fonction de la capacité du masque à arrêter les projections. Le récepteur est soigneusement lavé avec la même solution que celle recevant l’écouvillon de la Fig. 1, et le virus retrouvé dans cette solution est titré selon la méthode de la Fig. 3. La calibration de la projection peut inclure le volume de liquide, la taille des gouttelettes, voire de l’aérosol, la force de projection et le nombre d’UI contenus. Les distances d1 et d2 sont également réglables.

  1. Protocole expérimental.
    Ce chapitre se préoccupe de la manière de mener l’expérience de manière à ce que les résultats obtenus puissent être interprétés correctement. Comme vu au chapitre 4, de nombreuses variables sont possibles. Les variations doivent être appliquées avec méthode, une à une de manière à avoir la réponse la plus claire à la réponse posée. C’est le moment de la répéter : « Dans quelle mesure la texture d’un masque donné peut-elle bloquer la projection de particules infectieuses ?». Subsidiairement, dans quelles conditions le fait-elle ? Ce protocole n’est donc pas destiné à démontrer la validité ou non du port du masque pour protéger les individus de l’infection, même si, en fonction des résultats obtenus, des conclusions pourront légitimement être tirées. Si par exemple, un type de texture bloque moins de 50 % des virus projetés, son aptitude à protéger les individus pourra être jugée moins adéquate qu’une texture qui en arrête 99.9 %. Le protocole expérimental peut être mieux discuté, à partir d’un tableau de résultats dans lequel apparaissent les conditions utilisées pour faire l’observation.
  2. Tableau des résultats

 

 

 

 

 

 

 

 

Le tableau propose en fait une manière d’organiser les résultats de manière à ce qu’explicitement on comprenne le protocole qui a prévalu à son obtention. On voit en effet dans la colonne d2 cm que c’est la distance entre le masque et le récepteur qui est testé, tout autre paramètre restant identique. Les lignes E et F sont des répétitions des lignes A et D dans lesquelles il n’y a pas de masque interposé. Les résultats de ces deux lignes représentent en fait le maximum de UI qui peuvent atteindre le récepteur disposé à distance de 50 et 200 cm respectivement. En fonction des valeurs obtenues, on pourra décider de faire ce contrôle sans masque pour chaque distance d2. Dans la colonne Date, les jet 1, jet 2 et jet 3 représentent des triplicatas de la même condition expérimentale. Si le montage expérimental est fiable, ces trois valeurs devraient être le plus proche possible. Une moyenne entre les trois valeurs peut alors être présentée.
On voit que l’on peut se servir du même tableau pour établir des protocoles d’expériences testant les autres paramètres et les faisant varier 1 à 1. Ici les paramètres les plus importants à approfondir seraient les distances d2, les types de masques ou de texture et le nombre de UI. Lorsque d1 est faible, on se place dans la situation d’un porteur de masque infecté qui transmet vers un individu non protégé. Si d2 est faible, c’est l’individu exposé qui devient le porteur du masque face à un individu infecté qui lui n’en porte pas. On peut imaginer bien entendu, une situation où un deuxième masque est introduit simulant cette fois une protection maximale par masques interposés.

  1. Interprétation des résultats
    Les résultats devraient permettre de distinguer entre les textures efficientes et celles qui ne le sont pas ou qui le sont moins. Ces résultats sont toujours une mesure du nombre de particules infectieuses qui ont atteint le récepteur. Les résultats peuvent être exprimés en pourcentage du nombre observé sans la présence du masque. Toutefois, exprimés ainsi, les résultats peuvent induire des conclusions hasardeuses, si on veut s’en inspirer pour extrapoler à une situation réelle. Une efficacité d’arrêt des UI de 99% peut paraître adéquate du point de vue de la sécurité procurée par un tel masque. Pourtant, si le 100% contient 1 million d’UI, le 1% restant représente encore 10’000 UI qui atteignent le récepteur. Sachant qu’une particule infectieuse est suffisante pour initier une infection, la probabilité est loin d’être nulle de transmettre l’infection. Exprimer les résultats en nombre de UI effectivement mesuré apparait ainsi comme plus à même d’éviter des dérives d’interprétation.

En guise de conclusion.
Au-delà de l’aspect ludique (les temps non seulement le permettent, mas le requièrent) qui a inspiré cet article, avec notamment le « postillonneur » qui dans certaines anciennes publications est appelé la « boîte à toux » (cough box), sa rédaction a quand même été prétexte à introduire quelques techniques fondamentales d’un laboratoire de virologie, décrites avec la rigueur attendue. La démarche elle-même n’est pas anodine, pour qui voudrait, en plus de comparer les types de masques existant, faire un pas vers la mise au point d’une texture avec des propriétés nouvelles qui en amélioreraient l’efficience. Et là, on pense immédiatement à inclure à la propriété de barrière, celle de désactiver les particules virales en y incluant une substance capable de les dissoudre. Si on y ajoute la capacité pour la texture de tels masques d’être recyclée, donc lavable, on est proche d’une invention à breveter qui pourrait avoir un succès planétaire. Contrairement au « postillonneur » d’ailleurs, qui lui a déjà fait l’objet d’études poussées et récompensées dans les écoles techniques se préoccupant là de l’efficacité de répandre au mieux des produits phytosanitaires.