Le virus de la « maladie du baiser »

Désignation explicite du mode de transmission de la mononucléose infectieuse, la maladie du baiser (en anglais « kissing disease ») est provoquée par l’infection d’un virus de la famille des Herpesviridae, le virus Epstein-Barr (EBV), du nom des deux chercheurs qui l’ont décrit pour la première fois.

Comme tous les huit virus herpétiques qui infectent l’homme, EBV développe, après une première infection, qui provoque une maladie ou pas, la propriété de persister dans l’organisme, même en présence d’une réponse de défense immune forte. C’est que le virus reste dans une niche particulière, à l’abri du système de défense, ce qui fonctionne relativement bien, mais pas de manière absolue. En effet, pendant toute cette période de persistance, le virus est néanmoins capable de se « réactiver » pour se transmettre à un autre individu, mais également pour provoquer, en association avec d’autres facteurs, des maladies qui résultent de sa préférence pour l’infection de lymphocytes (cf. ci-dessous). Ce mode de vie viral est une réussite évolutive remarquable, puisque près de 70% de la population mondiale adulte est infectée.

Le virus est transmis principalement par contacts de « surfaces mouillées » chez les petits enfants, dont 50% peuvent être infectés avant l’âge d’une année. Il provoque à ce moment peu ou pas de symptômes. Lorsqu’il infecte pour la première fois des adolescents ou de jeunes adultes (il peut être transmis par contacts sexuels également), il provoque dans la moitié des cas (selon la zone géographique) une mononucléose infectieuse caractérisée par de la fièvre et une forte inflammation du pharynx et des amygdales. Une obstruction des voies respiratoires, une anémie, une atteinte du foie et de la rate, une méningite ou une encéphalite peuvent être également observées. La période d’incubation du virus (moment entre infection et apparition des symptômes) est de quatre à six semaines, et l’infection se résout en deux à quatre semaines. Dans 10% des cas, des symptômes, dont une fatigue débilitante, peuvent durer jusqu’à six mois.

Avant d’aller plus loin, petit rappel, sur la cible principale de l’EBV, les lymphocytes B naïfs; naïfs, parce qu’en stand-by, dans l’attente de l’agent infectieux. Une fois au contact de l’agent infectieux, émerge, en cinq à dix jours, une population de lymphocytes B qui sont de véritables usines à anticorps. Ces lymphocytes, dits matures, ont une durée de vie très courte, ils crachent leurs anticorps pendant un à deux jours puis meurent. Sauf une très faible fraction qui évolue en lymphocytes B dits mémoire. Ces derniers sont programmés pour vivre plusieurs mois, voire des années. Leur rôle, comme leur nom l’indique, consiste à garder en mémoire la première infection de sorte que si le virus réapparaît la production des lymphocytes cracheurs d’anticorps spécifiques se fasse en accéléré.

Cela dit, revenons au virus. EBV, comme tous les Herpesviridae, contient un « grand » génome composé d’ADN (cf. Le Génome). Alors que la plupart des génomes viraux ont une taille leur permettant de produire une dizaine de protéines, le génome d’EBV peut en produire plus de deux cent. Plus de la moitié de ces protéines sont impliquées dans l’accomplissement du mode de vie du virus, à savoir la persistance dans l’hôte infecté. La persistance à long terme d’un virus dans un organisme, par ailleurs pleinement capable de monter une réponse de défense immune, implique toujours le développement d’une stratégie particulière. Le virus peut, par exemple, déposer son génome dans des cellules qui ont une durée de vie correspondant à celle de l’individu. C’est le cas d’autres virus de la famille des Herpesviridae, comme celui des virus herpès simplex I et II (bouton de fièvre et herpès génital), ou du virus de la varicelle qui persistent dans le corps de neurones sensitifs qui durent toute une vie. Le génome y reste silencieux et le virus passe inaperçu. Pour le HIV (cf. HIV), la persistance implique une infection permanente de cellules qui sont détruites, mais qui sont efficacement remplacées jour après jour pendant un très long laps de temps. HIV évolue également pour échapper à la réponse de défense, et peut également intégrer son génome dans le génome de la cellule hôte. Les virus des hépatites B et C, profitent du fait que le foie soit un organe peu apte à mettre en place une réponse immune. Ils font des infections à bas bruit, soit parce qu’ils réussissent à échapper à la détection (B) ou à efficacement bloquer cette détection (C). Ils profitent également du fait que les cellules qu’ils infectent (les hépatocytes) ont une grande capacité de régénération. Ces quelques exemples, représentatifs mais pas exhaustifs, dépeignent les caractéristiques d’une persistance virale. La persistance d’EBV s’en inspire, mais contient également des particularités.

EBV infecte principalement les lymphocytes B naïfs. Ce sont des cellules à durée de vie très courte, dont un infime pourcentage peut évoluer en cellule mémoire de longue durée, lorsqu’elles ne sont pas infectées (cf. ci-dessus). Pour augmenter la probabilité que des lymphocytes B infectés puissent évoluer vers des lymphocytes mémoire, havre de persistance, le virus provoque dès le départ une multiplication exceptionnelle des lymphocytes B infectés. Cette multiplication à son tour résulte en une multiplication massive de lymphocytes T, tueuses de ces lymphocytes B infectés. C’est cette multiplication exceptionnelle de cellules T qui est perçue et qui a contribué historiquement à donner le nom à la maladie. Les cellules B infectées doivent maintenant tant soit peu échapper à la tuerie. C’est encore la stratégie virale qui s’en charge en interférant avec leur détection par les cellules T. Dans le même temps, il faut que les cellules rescapées augmentent leur durée de vie, car c’est le sort  normal de toute cellule infectée de se suicider pour arrêter l’infection, à défaut d’être détruites par l’infection. Le virus y pourvoit avec la mise en place d’un troisième programme. Au cours de la mise en place de ces trois phases stratégiques, le virus restreint également l’activité de son génome, pour aboutir à une situation de quasi « silence génome » dans des lymphocytes B infectés qui ont acquis une durée de vie comparable à des lymphocytes B mémoire. Ce sont en fait des lymphocytes B « mémoire-like ». Pour la mise en place de cette stratégie, le virus a trouvé des ressources dans son génome qui est « grand » et dont la moitié de l’information peut être mobilisée à cet effet. Pour terminer l’histoire, il faut mentionner que pour que la persistance ne devienne pas un cul de sac pour le virus, l’état silencieux de l’infection peut être brisé. La multiplication virale peut être réactivée, les virus produits atteignent l’épithélium où ils se multiplient, prêts à être transmis. Par ailleurs, cette multiplication sporadique ou constante à bas bruit, contenue à ce stade par une immunité existante (ce qui n’était pas le cas lors de l’infection première), va re-pourvoir le réservoir de lymphocytes B infectés mémoire-like.

Il n’existe pas de vaccin efficace contre EBV et les médicaments antiviraux utilisés, qui peuvent être pertinents contre d’autres virus herpétiques, ne montrent pas beaucoup d’efficacité contre EBV, même s’ils peuvent être prescrits dans des cas graves de mononucléose infectieuse.

La capacité d’EBV à transformer la durée de vie des lymphocytes se retrouve dans l’étroite association de ce virus avec une série de lymphomes comme le lymphome d’Hodgkin et le lymphome de Burkitt ainsi que des carcinomes gastriques ou nasopharyingés.