Pandémies de grippe. Saison II: comment une pandémie de grippe peut survenir.

La Saison I a introduit la notion de pandémie et a mentionné qu’elle survient lorsque l’immunité contre l’agent infectieux circulant n’existe pas dans la population. C’est évidemment le cas pour les pandémies causées par les virus de la grippe. Mais, d’où viennent ces nouveaux virus ? Comment sont-ils introduits dans la population humaine ?

Il faut rappeler qu’il existe différents types de virus de la grippe : les types A, B et C (cf. pour la classification des virus de la grippe). Les types B et C sont des virus uniquement humains, ils ont la propriété de ne circuler que dans la population humaine et ne sont, en principe, pas responsables de pandémies. Les virus de type A, en revanche, sont des virus qui circulent naturellement dans le monde animal, essentiellement le monde des oiseaux sauvages aquatiques et vraisemblablement aussi chez les chauves-souris. Les virus humains de type A ont tous comme origine le monde aviaire. Ils ont tous franchi la barrière d’espèce oiseau-homme, suite à un processus d’adaptation à l’espèce humaine. Il faut insister ici sur le fait qu’un virus est dit aviaire parce qu’il circule exclusivement dans le monde aviaire et, inversement, qu’un virus humain ne circule que dans le monde humain. Il arrive que des humains soient infectés par des virus aviaires, et ceci parfois avec des conséquences graves (plus de 60% de mortalité pour le virus H5N1), mais jusqu’à ce jour ces virus ne se transmettent pas d’humain à humain, ils restent des virus aviaires.

Sur quoi se fondent ces différences. Les virus aviaires sont essentiellement des virus qui se multiplient dans les parois du tractus gastro-intestinal, se retrouvent dans les fientes et se transmettent par contact avec ces fientes. Les virus humains sont des virus respiratoires. Ils se multiplient dans l’épithélium respiratoire et sont transmis par aérosols et gouttelettes, produits lors de toux et d’éternuement. Ces différences s’expliquent par le fait que les virus aviaires et humains ne partagent pas le même récepteur lors de l’infection. Petit rappel. Pour qu’un virus se multiplie et déclenche une infection, il faut qu’il se fixe sur la cellule à infecter, et il le fait en s’attachant à un récepteur spécifique (cf. Un virus se multiplie comment?). Le récepteur aviaire est trouvé en abondance dans le tractus gastro-intestinal des oiseaux, et le récepteur humain, différent du récepteur aviaire,  tapisse les voies respiratoires supérieures. Cette différence de récepteurs et leur localisation, explique en grande partie, mais pas uniquement, la spécificité d’espèce de ces virus. Pour qu’un virus aviaire devienne un virus humain, il doit subir, au minimum, un changement dans la reconnaissance du récepteur. Ce changement intervient par mutations. On a estimé qu’une série de 4-6 mutations est suffisante pour transformer un virus aviaire en virus humain. Il est hautement improbable que ces mutations arrivent d’un seul coup. Ce que l’on postule, c’est qu’un virus aviaire les acquière progressivement, devenant petit à petit un virus moins aviaire et plus humain. Il « tourne » autour de la population humaine pendant un certain temps d’adaptation. On parle d’adaptation par glissements. Le porc devient ici un hôte important, car il affiche naturellement dans ses voies respiratoires des récepteurs humains et aviaires. Il peut donc être infectés par les deux types de virus.

Plus que de servir de creuset pour une adaptation par glissements d’un virus aviaire en virus humain, le porc peut être l’hôte d’un deuxième mécanisme plus radical que l’on résume sous le terme de réassortiment. Pour décrire le réassortiment, il faut entrer un peu plus en détail dans la biologie des virus de la grippe. Dans un article précédent (cf. Virus H1N1….), la particule virale avec ses deux protéines HA et NA exprimées à la surface a été présentée. Il faut à ce stade se concentrer sur les segments du génome à l’intérieur du virus. Ce génome est composé de 8 segments (8 mini-chromosomes), qui chacun contient l’information pour produire une protéine virale. Ainsi le segment 4 permet la synthèse de HA et le segment 6 celle de NA, les deux composants exprimés à la surface du virus. Il faut envisager maintenant l’infection simultanée d’une même cellule par un virus humain et un virus aviaire (cf. figure ci-dessous, virus Hu et Av). Cette co-infection peut se faire dans le tractus respiratoire du porc. Dans la dernière phase de la multiplication virale (Cf. Un virus, ça se multiplie..), lorsque tous les composants viraux se sont accumulés en grand nombre dans une même cellule (cf. fouillis à l’intérieur du rectangle central symbolisant une cellule) et qu’ils s’assemblent pour produire de nouvelles particules virales (cf. à droite du rectangle central), les composants des deux virus peuvent se réassortir. On trouve à la sortie les virus infectants (uniquement Hu est dessiné), et des virus réassortis. Des segments venant du virus aviaire peuvent entrer dans la composition du virus humain et inversement. Quand cela survient, un nouveau virus a été produit. Nouveau parce que le génome de ce virus réassorti est différent des génomes des deux virus infectants. Lorsque le segment 4 aviaire a intégré la particule virale du virus humain à la place du segment 4 humain, le virus réassorti (Hu4av) reçoit la capacité de produire lors du prochain cycle d’infection un virus qui affiche à sa surface le HA aviaire. Le réassortiment ne se limite pas à l’échange d’un seul segment (en fait 256 possibilités théoriques de réassortiment existent). Si le virus humain intègre les segments 4 et 6 du virus aviaire, les deux protéines de surface HA et NA, sont issues du monde aviaire (virus Ha4/6av). Les conditions pour faire une pandémie sont en principe réalisées, car l’immunité contre ce virus n’existe pas dans la population humaine. Encore faut-il, en pratique, qu’un tel virus réassorti acquière au minimum, par mutations, la capacité à reconnaître le récepteur humain pour se propager dans la population humaine.

Avec la description des glissements et du réassortiment, nous avons tous les éléments nécessaires à la présentation des virus responsables des pandémies de grippe humaine survenues à partir de début du 20ème siècle. Le virus responsable de celle de 2009, n’étant pas le moins intéressant. Rendez-vous donc à la Saison III.

Mise à jour 07.01.2019